mardi 4 mars 2008

Fleurs de colza

Le poète de haïku le plus connu est sans conteste Matsuo Bashô (1644-1694), mais on a le droit de lui préférer un autre haïjin. Par exemple, Hagiwara Sakutarô (1886-1942), le poète japonais qui a innové la poésie contemporaine, injustement méconnu en France (en tout cas, quel poète japonais contemporain est connu en France?), n'a apprécié que Yosa Buson (1716-1784) comme un poète de haïku.
Contrairement à Bashô qui avait une grande notoriété déjà dans sa vie, Buson était considéré comme un haïjin de second rang jusqu'à ce qu'il ait été redécouvert par Masaoka Shiki (1867-1902). Selon Sakutarô, les haïkus de Buson font penser à la peinture occidentale pleine de couleurs vives, alors que ceux de Bashô sont d'encre de chine. Comment qualifie-t-on généralement les haïkus de Buson? Sakutarô fait le bilan.

  1. Les haïkus de Buson sont réalistes et impressionistes à la fois.
  2. Buson est plus technique que Bashô inspiré.
  3. Bashô est un poète de la vie, alors que Buson est un poète du paysage.
  4. Bashô est un haïjin subjectif, alors que Buson est un haïjin objectif.
Sakutarô est d'accord avec cette analyse, mais il réfute le point de vue que Buson est inférieur à Bashô à cause du manque de profondeur humaine.
Pour ma part, je vais tenter l'analyse phonétique d'un haïku de Buson, comme j'ai déjà fait avec le haïku de Shiki sur le kaki du temple Hôryûji.
Fleurs de colza. La lune est à l'est, le soleil à l'ouest.
菜の花や 月は東に 日は西に
Nanohana-ya tsuki-wa higashi-ni hi-wa nishi-ni
Nanohana (fleurs de colza); ya (particule de césure qui montre l'émotion: ah!); tsuki (la lune); wa (particule pour l'opposition dans ce cas); higashi (l'est); ni (particule du locatif); hi (le soleil); nishi (l'ouest).
On imagine la scène ainsi. Le poète se promène dans la campagne un peu montagnarde. Mais un champ vaste de colza appraît soudain devant ses yeux. L'heure est crépuscule. Il regarde la lune et puis le soleil couchant. On doit imaginer le mouvement de son regard. Une sorte de travelling: un peu en bas juste devant ses yeux, un peu en haut et à droite, et puis à gauche. La couleur dominante est le jaune assombri par le crépuscule.
Buson commence ce haïku par la voyelle claire a: nanohanaya. 4 sur 5 voyelles sont le a. Cette voyelle évoque la lumière restante, douce et printanière. Mais la répartition des voyelles des sept syllabes prochaines est ainsi: 2 a, 4 i et 1 u. La voyelle i croissante annonce le coucher du soleil. Cette voyelle sombre occupe 4 syllabes sur 5 pour la troisième partie.
Ainsi, ce haïku décrit-il phonétiquement la gradation du coucher du soleil et sa couleur changeante.

Article précédent: Explication d'un haïku
Article suivant: Japonais fous d'Obama

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je ne connaissais pas Hagiwa Sakutarô. Avez vous des exemples de compositions?

Il est vrai que les poètes modernes japonais ne sont pas très représentés, que ce soit en haïku ou poésie libre.

En matière de haïkus, Madoka Mayuzumi est peut-être légèrement connue parmi les amateurs français de poésie courte.

Moi, j'aimerais bien voir traduit Terayami shûji.

fisaxij a dit…

Je ne comprends pas trop la préférence littéraire des Français (Francophones) concernant le choix d'écrivains et de poètes japonais pour la traduction. Traduire Sôséki et Tanizaki, mais ni Tôson ni Shiga (romanciers "naturalistes" vaguement influencés par Zola), c'est presque absurde, car c'est ceux-ci qui faisaient le courant principal de la littérature japonaise de la première moitié du 20e siècle, tandis que Sôséki et Tanizaki étaient des cas spéciaux. (Je préfère Sôséki et Tanizaki à Tôson et à Shiga, mais ce n'est pas le problème.)

Pour Sakutarô, c'est un peu pareil. On pense généralement que Tôson a inventé la poésie moderne, et que Sakutarô en est l'apogée. Je publierai des exemples sur ce blog prochainement. (Tôson abandonne la poésie, qu'il considérait comme un genre réservé aux jeunes, pour écrire les romans.)

Je ne connaissais pas du tout Mayuzumi Madoka. J'ai lu quelques-uns de ses haïkus sur son site. Ils sont bien, mais un peu trop classiques pour une poétesse du 21e siècle.

Térayama Shûji est de ma ville, mais je ne l'aime pas trop.

Anonyme a dit…

Je suis moins au fait sur les romans, mais sur Madoka Myuzumi,j'apprécie moins les compositions de son site que son recueil "b men no natsu".

Ce que j'aime dans Mayuzumi Madoka c'est sa capacité à rester dans la tradition au niveau du style (respect de l'écriture, du ryhtme...) tout en étant très novatrice dans les thèmes.

Ainsi je ne pense pas qu'elle cherche à révolution le style formel du haïku, sinon elle ferait sans doute de la poésie moderne. Je crois qu'elle apporte beaucoup au genre et reste sous-estimée, en France tout du moins.