mercredi 21 janvier 2009

Little Tokyo en Algérie

A Little Tokyo en Algérie,
La cantine pour les Japonais est interdite aux employés algériens.
Le gym pour les Japonais est interdit aux "étrangers".
Les chiottes pour les Japonais sont interdites aux "ouvriers des tiers pays".
On ferme jalousement la porte des cabines à la clé.

A Little Tokyo en Algérie,
Les Japonais tutoient les hauts fonctionnaires.
En Algérie, on ne se conduit pas en Algériens.
L'autoroute en Algérie, c'est le projet des Japonais.
On s'amuse à faire dire les salutations en japonais.
Car les civilités, c'est japonais.

A Little Tokyo en Algérie,
Les Japonais n'ont pas honte de ne pas faire des efforts.
De simples efforts pour comprendre les sentiments des autochtones.
Ils critiquent le nombrilisme et la paresse des Algériens,
Alors que c'est eux qui souffrent de la paresse intellectuelle.

A Little Tokyo en Algérie,
On ne me présente même pas aux collègues algériens.
On ne serre pas la main.
C'est seulement le coeur qui est serré.

L'amitié et le petit sourire peuvent-ils être mes armes? Ce n'est que de la naïveté. Mais je ne comprends pas que mes compatriotes ne se montrent pas plus amicaux envers les Algériens. Leur but, c'est de réaliser leur projet, mais apparemment ils n'ont aucune envie de se faire aimer et apprécier par les habitants. Alors c'est une autoroute pour qui?
Ce n'est que mes premières impressions. Peut-être que ça changera.

mercredi 14 janvier 2009

Kagomé kagomé

Au Japon, le ketchup, ce n'est pas Amora, mais Kagome (prononcé kagomé).

 D'où vient ce nom de Kagomé? Il paraît qu'un personnage du manga Inuyasha porte également ce nom, si je ne me trompe.
 Au fait, Kagomé kagomé est une chanson qui accompagne le jeu d'enfants. Je ne sais pourquoi je ne peux trouver aucun clip passable sur YouTube. Ici, la chanson est chantée par la vocaloïde Hatsuné Miku. C'est nul, mais tant pis...


初音ミク、かごめかごめ(童謡)

 Un enfant appelé oni (ogre, petit démon) s'accroupit et il ferme ses yeux. Les autres enfant, en se tenant la main, tournent autour de lui en chantant cette mélodie. A la fin de la chanson, ils s'arrêtent, et le oni doit deviner qui est juste derrière lui. La vidéo montre à peu près ce que c'est que ce jeu. (1. Ce ne sont pas des enfants; 2. Le oni n'est pas accroupi, mais assis; 3. Cela se joue avec des personnes plus nombreuses; 4. On ne court pas!)



かごめかごめ 0001

 Comme j'ai déjà remarqué, les Japonais confondent très souvent les genres. Cette chanson ne peut être un dôyô 童謡, chansons composées par le mouvement artistique de la première moitié du 20e siècle, mais ce genre de chansons pour enfants est appelé warabé-uta わらべうた. Les warabé-uta sont des chansons sans auteur, transmises oralement. Et tout comme la Mère Oie, la parole, qui connaît plusieurs variations, est souvent difficile à comprendre.
 Je cite la version du Grand Shôgakukan.
かごめかごめ Kagomé kagomé
籠の中の鳥は Kago-no naka-no tori-wa
いついつ出やる Itsu itsu déyaru
夜明けの晩に Yoaké-no ban-ni
鶴と亀とつーぺった Tsuru-to kamé-to tsûpetta
うしろの正面だあれ Ushiro-no shômen dâré?
 Le sous-titre de Hatsuné Miku donne 滑った (subetta) au lieu de tsûpetta.
 J'ai voulu parler de cette chanson, parce que j'ai été étonné de voir ce sous-titre 滑った (subetta) dans une émission de NHK pour le nouvel an. Mais moi, je croyais que le mot était つうべった (tsûbetta)! Apparemment, la plupart des Japonais croient que le mot correct est subetta, alors que le Grand Shôgakukan dit tsûpetta.
 Le verbe tsûpéru ou tsûbéru n'est pas connu, tandis que le verbe subéru veut dire "glisser", voire chuter dans ce cas-là probablement. Tout en admettant que le vers "tsuru-to kamé-ga tsûpetta" n'est pas compréhensible, je ne pense pas que le sens des mots "Et la grue et la tortue ont chuté" soit plus clair.
 Déjà, quel est le sens du premier mot "kagomé"? Un ancien document donne les kanji 籠目. Dans ce cas-là, ce mot veut dire "trames de corbeille". Le choix de la compagnie de ketchup vient très probablement de cette hypothèse. Mais des internautes disent "C'est complètement faux. Kagomé, c'est normalement 籠女." Je ne vois pas pourquoi c'est normal, mais ce qu'ils prétendent est que ce mot signifie soit une prostituée exploitée, enchaînée dans la cage (le mot kago veut dire corbeille et cage), soit une femme enceinte (la cage veut dire l'utérus). Ce sont des interprétations abusives qui s'engagent volontairement dans la quatrième dimension. Bien sûr qu'on se met aussitôt à parler des fantômes.
 Plus sérieusement, le Grand Shôgakukan pense que ce mot vient de 囲め kakomé, "entourez, encerclez". Mais vu que c'est les enfants qui tournent autour du oni qui chantent, je crois que c'est l'ethnologue YANAGITA Kunio qui a raison: Il pense que le mot est une altération de 屈め kagamé "accroupis-toi". D'ailleurs, l'alternance de voyelles est plus probable que le changement du k en g nasal à mon avis.
 J'admets volontiers que l'interprétation erronée et populaire n'est pas sans fondement. Juste après le commencement, on parle de "l'oiseau dans la cage" (kago-no naka-no tori). Mais on ne peut ignorer que cette parole est faite du jeu de mots absurde. L'ancienne version montre plus clairement cette caractéristique.
かごめかごめ
籠の中の鳥は
いついつ出やる
夜明けの晩に
つるつるつーぺった Tsuru tsuru tsûpetta
なべなべなべの底ぬけ Nabé nabé nabé-no soko-nuké
 Dans cette version, on ne dirait pas que l'élément tsuru soit l'oiseau grue, mais plutôt l'onomatopée tsurutsuru qui montre le glissement. Et petta doit être une onomatopée pour la chute. Le mot ぺったんこ pettanko montre l'état d'une chose platte comme si elle avait été écrasée. Tsûpetta n'est très probablement pas un verbe.
 Alors d'où vient ce vers "nabé nabé nabé-no soko-nuké" (marmite, marmite, marmite sans fond)? L'élément tsuru constitue l'homonymie de la grue, l'onomatopée pour le glissement, et de la corde pour pendre la marmite. Entre tsuru et nabé, il n'y a pas de lien logique, mais une association libre. On peut dire la même chose sur kagomé de la première ligne et kago de la deuxième ligne.
 C'est depuis l'ère Meiji qu'on a remplacé la dernière partie de la chanson. Kamé la tortue est apparue, car c'est un animal qui accompagne toujours tsuru la grue au Japon. Ce sont des symboles de la longue vie.
 "Ushiro-no shômen dâré?" (Qui est en face derrière toi?), qui a supplanté "nabé nabé...", dédouble et renforce l'absurdité de l'expression "yoaké-no ban" (le soir de l'aube).
 Sur Internet, il y a vraiment beaucoup d'interprétations de cette chanson, dont la plupart sont parfaitement négligeables. Ces gens veulent que cette chanson ait des rapports avec quelconque légende urbaine. On dit souvent que cette chanson Kagomé kagomé fait peur. J'imagine que cette peur provient de l'oubli de l'enfance naïve et insouciante où on ne se souciait nullement du sens du texte tout en jouant à ce jeu. Ce n'est pas pour cela qu'on est permis de remplacer tsûpetta, le mot inexistant dans le vocabulaire japonais, par un mot japonais "normal" subetta.
 Certains pensent que ce mot tsûpetta vient des mots comme 突っ入った(つっぱいった) tsuppaïtta ou つくばった tsukubatta. Le premier voudrait dire "brusquer l'entrée", et le deuxième "se mettre à quatre pattes". J'avoue que j'imaginais auparavant le sens de tsûbetta comme l'ancien verbe signifiant "coïter". (Mouais, les Japonais sont des obsédés sexuels... lol) Cette association n'était pas sans raison, si ce mot voulait dire l'un des deux. D'ailleurs, le gouvernement de Meiji a tellement censuré les chansons traditionnelles, prétandant qu'elles étaient trop obscènes. Mais maintenant j'opte plutôt pour la conclusion: "tsûpetta ne veut rien dire, à moins que ce ne soit une onomatopée."
Accroupis-toi, accroupis-toi.
Quand sortira l'oiseau de la cage?
A l'aube dans la soirée,
La grue et la tortue firent badaboum.
Qui est en face derrière toi?
 Je ne comprends pas pourquoi ces gens-là qui ne peuvent pas accepter les jeux de mots absurdes doivent recourir systématiquement à des interprétations surnaturelles et fantastiques au Japon. Si vous êtes curieux, vous pouvez aller surfer sur Internet pour voir quel genre d'interprétations qu'on donne à cette chanson inoffensive. C'est vraiment curieux comment les Japonais adorent faire peur avec les histoires de fantômes.

vendredi 2 janvier 2009

Voisins solidaires

Tout d'abord, je vous souhaite une bonne et heureuse année 2009.



とんとんとんからりんと隣組

隣組 Tonarigumi

とん とん とんからりと 隣組 Ton, ton, tonkarari-to tonarigumi
格子を開ければ 顔なじみ Kôshi-o akéré-ba kao-najimi
回して頂戴 回覧板 Mawashi-té chôdaï kaïranban
知らせられたり知らせたり Shirasé-raré-tari shirasé-tari

とん とん とんからりと 隣組 Ton, ton, tonkarari-to tonarigumi
あれこれ面倒 味噌醤油 Aré-koré mendô miso shôyu
ご飯の炊き方 垣根越し Gohan-no takikata kakinégoshi
教えられたり教えたり Oshié-raré-tari oshié-tari

とん とん とんからりと 隣組 Ton, ton, tonkarari-to tonarigumi
地震やかみなり 火事どろぼう Jishin-ya kaminari kaji dorobô
互に役立つ 用心棒 Tagaï-ni yakudatsu yôjinbô
助けられたり助けたり Tasuké-raré-tari tasuké-tari

とん とん とんからりと 隣組 Ton, ton, tonkarari-to tonarigumi
何軒あろうと 一所帯 Nan-gen arô-to hito-shotaï
こころは一つの 屋根の月 Kokoro-wa hitotsu-no yané-no tsuki
纏められたり纏めたり Matomé-raré-tari matomé-tari

Voisins solidaires

Toc, toc, c'est les voisins solidaires.
Quand vous ouvrez la porte, vous voyez un visage connu.
Faites circuler le bulletin.
On informe et on est informés.

Toc, toc, c'est les voisins solidaires.
Etes-vous court des épices?
Je vous dirai comment cuire le bon riz.
On renseigne et on est renseignés.

Toc, toc, c'est les voisins solidaires.
Séisme, foudre, incendie, voleurs.
On est tous des gardes de corps serviables.
On aide et on est aidés.

Toc, toc, c'est les voisins solidaires.
C'est un foyer combien de maisons qu'il y ait.
Nos cœurs s'unissent pour la lune sur le toit.
On organise et on est organisés.

 Les Voisins Solidaires (Tonarigumi) étaient le système d'aide mutuelle, décrété par le Ministère de l'Intérieur en 1940. C'est un tube de cette année-ci, dont le texte est d'Okamoto Ippei, un des premiers dessinateurs de manga moderne, qui est plutôt connu comme le mari de la romancière Okamoto Kanoko, et le père d'Okamoto Taro, l'artiste. C'est la seule parole de chansons qu'on connaisse de lui. Son talent de dessinateur était reconnu par Natsumé Sôséki.
 Les Voisins Solidaires étaient une institution des civils pour soutenir la guerre. Malgré l'air joyeux de la chanson, Tonarigumi était abhorré comme le système de la délation mutuelle. Certains d'entre vous ont probablement déjà été frappés par la méfiance des Japonais envers autrui. On peut penser que c'est une réminiscence des Voisins Solidaires.
 Par exemple, ma famille vivait dans la peur, car on avait un "rouge" parmi nous. Mon grand oncle (frère de mon grand-père) n'était qu'un social-démocrate modéré, mais il dévorait la littérature prolétarienne. On dit que seule la possession de ces livres constituait un délit aux yeux de la police de l'époque.
 Personnellement, je trouve cette peur assez ridicule, parce que ma famille était la plus riche du village jusqu'à la fin de la guerre. La police n'aurait eu aucun intérêt à arrêter le frère de la personne qui payait la moitié des impôts de la commune.
 Ma famille n'est plus riche depuis la fin de la guerre. C'est les occupants américains qui ont ruiné principalement les bourgeois provinciaux comme boucs émissaires. Ils leur ont enlevé le terrain et l'ont redistribué aux petits paysans. Bien sûr que tous les manuels scolaires racontent que les Américains ont également dissolu les trusts, mais ce n'était que superficiel. La preuve est évidente si vous constatez seulement les prospérités éternelles de Mitsubishi. Tout ce que les Américains avaient besoin n'était que ces boucs émissaires provinciaux pour calmer l'esprit du peuple. Curieusement, on ne souligne jamais ce côté noir de l'histoire. C'est peut-être parce que la plupart des Japonais ont plutôt tiré du profit de la mauvaise politique de l'occupation américaine.
 Vous pouvez trouver beaucoup de documents rares de l'époque de la Deuxième Guerre mondiale sur YouTube. Les gens d'extrême-droite ont le fol enthousiasme à uploader ces choses-là que les bien-pensants font tout pour cacher, car ils ne peuvent pas admettre que presque tous les intellectules et les personnages connus soutenaient la guerre. Il n'y a pas que Okamoto Ippei, loin de là. Et ces nationalistes stupides ajoutent toujours des commentaires favorables à ces archives grotesques. Je le trouve assez marrant.
 Cependant, je ne condamne pas les écrivains et les artistes qui soutenaient la guerre, car la vie n'est pas aussi simple que cela. Tout cela est détestable, mais il arrive qu'on doive se débrouiller malgré soi dans la situation critique. Si je n'apprécie pas du tout les produits de la guerre, je comprends ceux qui l'ont fuie. Je préfère NAKANO Shigéharu, qui s'est "converti" de peur de supplices, à KOBAYASHI Takiji, le martyr de la littérature prolétarienne. Nakano, qui a choisi la survie, a été sénateur socialiste après la guerre, et il a laissé une oeuvre beaucoup plus complexe que celle de Kobayashi. Je ne suis pas là pour adorer la pureté idéologique du martyre.