Au Japon, le ketchup, ce n'est pas Amora, mais Kagome (prononcé kagomé).
Comme j'ai déjà remarqué, les Japonais confondent très souvent les genres. Cette chanson ne peut être un dôyô 童謡, chansons composées par le mouvement artistique de la première moitié du 20e siècle, mais ce genre de chansons pour enfants est appelé warabé-uta わらべうた. Les warabé-uta sont des chansons sans auteur, transmises oralement. Et tout comme la Mère Oie, la parole, qui connaît plusieurs variations, est souvent difficile à comprendre.
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J'ai voulu parler de cette chanson, parce que j'ai été étonné de voir ce sous-titre 滑った (
subetta) dans une émission de NHK pour le nouvel an. Mais moi, je croyais que le mot était つうべった (
tsûbetta)! Apparemment, la plupart des Japonais croient que le mot correct est
subetta, alors que le
Grand Shôgakukan dit
tsûpetta.
Le verbe
tsûpéru ou
tsûbéru n'est pas connu, tandis que le verbe
subéru veut dire "glisser", voire chuter dans ce cas-là probablement. Tout en admettant que le vers "
tsuru-to kamé-ga tsûpetta" n'est pas compréhensible, je ne pense pas que le sens des mots "Et la grue et la tortue ont chuté" soit plus clair.
Déjà, quel est le sens du premier mot "
kagomé"? Un ancien document donne les
kanji 籠目. Dans ce cas-là, ce mot veut dire "trames de corbeille". Le choix de la compagnie de ketchup vient très probablement de cette hypothèse. Mais des internautes disent "C'est complètement faux.
Kagomé, c'est normalement 籠女." Je ne vois pas pourquoi c'est normal, mais ce qu'ils prétendent est que ce mot signifie soit une prostituée exploitée, enchaînée dans la cage (le mot
kago veut dire corbeille et cage), soit une femme enceinte (la cage veut dire l'utérus). Ce sont des interprétations abusives qui s'engagent volontairement dans la quatrième dimension. Bien sûr qu'on se met aussitôt à parler des fantômes.
Plus sérieusement, le
Grand Shôgakukan pense que ce mot vient de 囲め
kakomé, "entourez, encerclez". Mais vu que c'est les enfants qui tournent autour du oni qui chantent, je crois que c'est l'ethnologue YANAGITA Kunio qui a raison: Il pense que le mot est une altération de 屈め
kagamé "accroupis-toi". D'ailleurs, l'alternance de voyelles est plus probable que le changement du
k en
g nasal à mon avis.
J'admets volontiers que l'interprétation erronée et populaire n'est pas sans fondement. Juste après le commencement, on parle de "l'oiseau dans la cage" (
kago-no naka-no tori). Mais on ne peut ignorer que cette parole est faite du jeu de mots absurde. L'ancienne version montre plus clairement cette caractéristique.
かごめかごめ
籠の中の鳥は
いついつ出やる
夜明けの晩に
つるつるつーぺった Tsuru tsuru tsûpetta
なべなべなべの底ぬけ Nabé nabé nabé-no soko-nuké
Dans cette version, on ne dirait pas que l'élément
tsuru soit l'oiseau grue, mais plutôt l'onomatopée
tsurutsuru qui montre le glissement. Et
petta doit être une onomatopée pour la chute. Le mot ぺったんこ
pettanko montre l'état d'une chose platte comme si elle avait été écrasée.
Tsûpetta n'est très probablement pas un verbe.
Alors d'où vient ce vers "
nabé nabé nabé-no soko-nuké" (marmite, marmite, marmite sans fond)? L'élément
tsuru constitue l'homonymie de la grue, l'onomatopée pour le glissement, et de la corde pour pendre la marmite. Entre
tsuru et
nabé, il n'y a pas de lien logique, mais une association libre. On peut dire la même chose sur
kagomé de la première ligne et
kago de la deuxième ligne.
C'est depuis l'ère Meiji qu'on a remplacé la dernière partie de la chanson.
Kamé la tortue est apparue, car c'est un animal qui accompagne toujours
tsuru la grue au Japon. Ce sont des symboles de la longue vie.
"
Ushiro-no shômen dâré?" (Qui est en face derrière toi?), qui a supplanté "
nabé nabé...", dédouble et renforce l'absurdité de l'expression "
yoaké-no ban" (le soir de l'aube).
Sur Internet, il y a vraiment beaucoup d'interprétations de cette chanson, dont la plupart sont parfaitement négligeables. Ces gens veulent que cette chanson ait des rapports avec quelconque légende urbaine. On dit souvent que cette chanson
Kagomé kagomé fait peur. J'imagine que cette peur provient de l'oubli de l'enfance naïve et insouciante où on ne se souciait nullement du sens du texte tout en jouant à ce jeu. Ce n'est pas pour cela qu'on est permis de remplacer
tsûpetta, le mot inexistant dans le vocabulaire japonais, par un mot japonais "normal"
subetta.
Certains pensent que ce mot
tsûpetta vient des mots comme 突っ入った(つっぱいった)
tsuppaïtta ou つくばった
tsukubatta. Le premier voudrait dire "brusquer l'entrée", et le deuxième "se mettre à quatre pattes". J'avoue que j'imaginais auparavant le sens de
tsûbetta comme l'ancien verbe signifiant "coïter". (Mouais, les Japonais sont des obsédés sexuels... lol) Cette association n'était pas sans raison, si ce mot voulait dire l'un des deux. D'ailleurs, le gouvernement de Meiji a tellement censuré les chansons traditionnelles, prétandant qu'elles étaient trop obscènes. Mais maintenant j'opte plutôt pour la conclusion: "
tsûpetta ne veut rien dire, à moins que ce ne soit une onomatopée."
Accroupis-toi, accroupis-toi.
Quand sortira l'oiseau de la cage?
A l'aube dans la soirée,
La grue et la tortue firent badaboum.
Qui est en face derrière toi?
Je ne comprends pas pourquoi ces gens-là qui ne peuvent pas accepter les jeux de mots absurdes doivent recourir systématiquement à des interprétations surnaturelles et fantastiques au Japon. Si vous êtes curieux, vous pouvez aller surfer sur Internet pour voir quel genre d'interprétations qu'on donne à cette chanson inoffensive. C'est vraiment curieux comment les Japonais adorent faire peur avec les histoires de fantômes.