mercredi 29 juillet 2009

Amitié japonaise (selon moi)

Quand j'étais lycéen, tout les profs répétaient sans cesse « Il faut que vous vous fassiez des amis pendant que vous êtes au lycée, car il est difficile de se les faire quand vous serez à la fac ou dans la vie active. » Je les entendais avec une certaine tristesse, parce que je n'avais aucun ami. (Au moins, je pensais comme ça à l'époque. Je sais bien maintenant que certains me considéraient comme un ami, mais c'est ça, l'adolescence torturée.)
    Mais très heureusement, j'ai eu beaucoup d'amis à la fac, et même si je ne les vois plus depuis longtemps pour la plupart, ils restent de bons amis dans mon cœur. Même en France, je me suis lié d'amitié avec pas mal de gens. Alors pourquoi ces profs insistaient tout le temps qu'il fallait se faire des amis pendant qu'on était lycéen, comme si c'était un ultimatum? En plus, avant que je ne parte en France, tous les profs de la fac qui avaient déjà séjourné en France disaient « En France, on ne peut se faire des amis. » Alors, est-ce que mon cas est rare, pour ne pas dire exceptionnel?
    A la fac, on m'a posé cette question parfois « Pourquoi tu le (la) connais? » concernant un(e) de mes amis. Ma réponse était toujours « Je l'ai rencontré(e) sur la pelouse. » Je ne sais si certains le font encore maintenant à cette école, mais à l'époque, on faisait souvent un tout petit apéro improvisé sur la pelouse. Je traînais souvent là-bas, et c'est comme ça que je me suis fais des amis. Mais il est assez facile d'imaginer (je crois) qu'un tout petit nombre des étudiants japonais se comportent ainsi. Dans la plupart des cas, ils se font des amis seulement au sein des clubs (“cercles”) ou dans la classe à la limite. C'est pour cela que les gens étaient curieux que j'avais des amis sans appartenir au même club. Nous appelions notre “club” le Club de la Pelouse. Il était composé des gens faciles d'accès, qui pouvaient être amis sans appartenir au même clan. Mais cette expression “faciles d'accès” ne veut pas du tout dire qu'ils étaient considérés par les autres comme les gens gais et ouverts (akaruï). Au contraire, ils étaient souvent considérés comme sombres (kuraï).
    Je crois depuis mon adolescence qu'il y a une inversion entre ces deux mot akaruï et kuraï et leurs définitions au Japon. Une personne appelée gaie et joyeuse (akaruï, “clair” à la lettre) est parfois un individu qui a peur d'être considéré comme quelqu'un de sombre (kuraï). Par contre, une personne appelée kuraï trouve cette peur stupide. (Au moins, moi, j'ai toujours pensé comme ça.) Bien sûr que ce raisonnement ne s'applique pas à tout le monde. Il y a des gens naturellement joyeux et des gens vraiment moroses. Mais il reste que les personnes qui ne font pas d'efforts pour se montrer akaruï sont considérés comme kuraï. J'imagine bien que les gens qui ont passé une adolescence kuraï au Japon ont plutôt l'aptitude à s'adapter à la vie à l'étranger. Dois-je ajouter que toutes ces cultures de manga et de jeux vidéo sont faits par les gens kuraï?
    J'ai trouvé une analyse intéressante des Japonais dans un dialogue de John Cleese avec son psychiatre (Comment être un névrosé heureux). Ils disent qu'un Japonais s'intègre plutôt bien à la société étrangère, quand il vit tout seul. Mais dès qu'ils forment un groupe, ils composent une communauté fermée.
    Actuellement, je vis bien dans une telle communauté japonaise établie en Algérie. Avant de venir ici, je croyais naïvement que je pourrais vivre une vie algérienne, mais je me rends compte que je vis toujours au Japon en Algérie. Et j'imagine que c'est ce que font la plupart des ressortissants japonais. Ils croient travailler à l'étranger, mais ils continuent à vivre au Japon. Tout a été prévu pour qu'ils puissent mener une vie japonaise à l'extérieur du Japon.
    Et ces Japonais se font des amis avec les Algériens? Je ne dis pas jamais, mais c'est assez rare. Un collègue algérien m'a fait une observation très intéressante. « Les Japonais ne se lient pas d'amitié avec les Algériens, mais j'ai remarqué qu'il n'y a pas d'amitié même parmi les Japonais. Peut-être que c'est la mentalité, je ne sais pas. »  J'en ai parlé à un ami algérien qui travaille ici, mais il m'a répondu tout de suite. « Mais on l'a tous remarqué! Il y a seulement des clans, mais il n'y a pas d'amitié parmi les Japonais. » Ah donc, mes profs avaient raison?! Ces Japonais sérieux qui consacrent leur vie à l'entreprise, ils ne se sont pas fait d'amis depuis le lycée?
    L'insuccès au Japon des réseaux sociaux comme Facebook et MySpace est plutôt connu. Par contre, Mixi qui est un réseau social fermé a un grand succès. Apparemment (je ne suis pas membre de Mixi), les commentaires sur Mixi sont vraiment anarchiques. C'est la fermeture qui leur donne l'assurance. Mais les commentaires des Japonais visibles sur MySpace par exemple sont assez souvent incompréhensiblement mielleux (contrairement à mon blog XD). Ils pensent à tout afin de ne pas choquer les personnes qu'ils ne connaissent que sur internet. C'est bien probablement la mentalité. On ne peut se faire des amis comme ça. Et je me demande d'où vient cet écart entre ces Japonais mielleux et mes collègues hargneux envers les Algériens. Peut-être cet écart n'est-il pas si grand. Il y a la même fermeture d'esprit. Et même moi, j'ai bien du mal à faire des ami ici, tout en étant membre d'une communauté japonaise établie à l'étranger.

日本人って暗いね

(Nihon-jin-tté kuraï-né)
Les Japonais sont maussades.
C'est une chanson du groupe Jagatara, mais introuvable sur internet :(