lundi 29 décembre 2008

Papillon, mon compagnon de route

 Une lectrice a trouvé un haïku de Masaoka Shiki, traduit en français, et m'a demandé si je ne connaissais pas la version originale. La traduction est comme ceci:
Au papillon je propose
D'être mon compagnon
De voyage.
 C'était facile de trouver le haïku original. Vous pouvez lire tous les haïkus de Shiki dont le sujet est le papillon sur ce site (japonais).
道づれは胡蝶をたのむ旅路哉 Michizuré-wa kochô-o tanomu tabiji-kana
 L'histoire peut finir là, mais je m'arrête pour réfléchir un peu sur la traduction. Elle n'est pas forcément incorrecte, mais insuffisante à mes yeux.
 Je pourrais modifier la version originale, pour qu'elle corresponde à cette traduction française.
道づれを胡蝶にたのむ旅路哉 Micizuré-o kochô-ni tanomu tabiji-kana
 Dans ce cas-là, ce petit poème veut dire "Ah! Mon voyage qui demande au papillon d'être mon compagnon". Mais cela ne peut être un haïku de Shiki. Les deux particules を (-o) et に (-ni) sont des enclitiques qui montrent le cas grammatical, et il n'y a aucune ambiguïté syntaxique. Le mode du verbe tanomu (demander) est l'adjectif verbal dans cette version modifiée, relié au nom tabiji (itinéraire).
 La similitude de l'indicatif et l'adjectif verbal ne pose généralement pas de problèmes d'interprétation. Si le verbe se situe immédiatement devant un nom, c'est l'adjectif verbal (走る男 hashiru otoko, l'homme qui court). S'il se trouve à la fin de la phrase, il s'agit de l'indicatif (男は走る otoko-wa hashiru, l'homme court).
 Mais pour ce haïku de Shiki, tanomu, qui se situe devant un substantif, ne peut être l'adjectif verbal. Cela constituerait une phrase absurde.
道づれは 胡蝶をたのむ旅路哉 Mon compagnon de route, c'est mon itinéraire qui demande le papillon.
 Le compagnon de route de Shiki ne peut être son itinéraire lui-même, mais le papillon. Par conséquent, il faut penser que le verbe tanomu est l'indicatif, est qu'il y a une césure nette après ce mot.
道づれは胡蝶をたのむ 旅路哉 Je me fie au papillon, mon compagnon de route. C'est mon voyage.
 L'acception moderne de ce verbe est "demander, proposer", mais je crois qu'on doit le comprendre dans le sens un peu ancien "se fier, suivre" (たよる tayoru en japonais moderne). On peut supposer une omission avant tabiji-kana, qui puisse relier la rupture.
 Et le génie de Shiki consiste bien dans cette ambiguïté syntaxique. Si on prenait le verbe tanomu comme l'adjectif verbal, le haïku ne voudrait rien dire, mais c'est ce que le lecteur ordinaire fait sans trop réfléchir à la syntaxe. Il ne s'aperçoit pas qu'il y a une césure après tanomu, et cette équivoque met en relief l'emploi du mot poétique kochô (papillon), qui est lié au rêve dans l'imaginaire populaire. 胡蝶の夢 kochô-no yumé, "le rêve du papillon" est l'histoire très connue de Zhuang Zi. (Je considère ici le verbe tanomu comme l'indicatif. C'est mon hypothèse, qui ne serait pas crédible par hasard.)
 Cependant, on peut croire que c'est un haïku d'un seul trait, sans aucune césure. Vous pouvez ajouter に (-ni) avant -wa pour clarifier le sens.
道づれ(に)は胡蝶をたのむ旅路哉
 Dans ce cas-là, l'adjectif verbal est possible à nouveau, mais j'ai l'impression que ce serait assez maladroit comme une composition de haïku. Je préfère garder l'équivoque de -wa, qui provoquerait une sorte d'anacoluthe, si le verbe était considéré comme l'adjectif verbal.
 J'ai bien dit que la traduction proposée n'était pas forcément incorrecte. C'est que le traducteur peut bien prendre la liberté afin que la traduction soit naturelle. De toute façon, la différence sémantique n'est pas trop sensible.

mercredi 17 décembre 2008

Les fleurs du poncirus

 Le compositeur ENDÔ Minoru est mort le 6 décembre à l'âge de 76 ans. Il était le premier compositeur des variétés japonaises qui ait eu l'honneur d'être "Grand Contributeur à la Culture", décoré par l'empereur. Il est surtout connu pour les tubes de style enka. Le enka est souvent faussement considéré comme le style traditionnel des variétés japonaises, mais son rythme le plus typique est une variation de la habanera cubaine (La Paloma). Certains disent "演歌は日本の心です" (Enka-wa nihon-no kokoro-désu, le enka est l'âme du Japon", mais en réalité, il n'est pas tellement japonais, et je me doute que la stylisation de enka ne date que des années 70, si je parcours vite la carrière de ce compositeur décédé.
 Le enka est le genre des variétés particulièrement détesté par les fans du rock, à cause de son image trop "autochtone". Je suis de la génération post-punk, et je ne partage pas trop la rock'n'roll attitude ;) Le problème est qu'enfin, il n'y a pas grand'chose à remarquer dans ce genre enka. Endô Minoru, que je n'apprécie pas plus que les autres faiseurs de tubes, a au moins laissé une chanson mémorable. (Avant la Deuxième Guerre mondiale, le mot enka voulait dire les chansons "sociales", le genre guère prisé par les Japonais d'après-guerre. Le enka d'avant-guerre n'a rien à voir avec le enka qu'on connaît maintenant.)
 La chanson est intitulée からたち日記 Karatachi nikki ("Journal du poncirus [citronnier épineux]") (1958). Le titre n'est pas vraiment compréhensible. Est-ce que la plante écrit? C'était un grand tube, mais c'est vraiment étonnant, parce que le rythme est complètement irrégulier. C'est du Frank Zappa? Endô était-il originaire d'un pays balkanique? lol Bien sûr que ça n'a rien n'a voir, mais on se demande d'où sont venus ces arrangements rythmiques trop bizarres, surtout pour un tube. La chanteuse s'appelle SHIMAKURA Chiyoko. La chanson de Endô Minoru, chantée par Shimakura Chiyoko doit être un enka selon l'image, mais elle échappe à la catégorisation. Je pensais que Shimakura Chiyoko était une Françoise Hardy japonaise, mais elle chante beaucoup mieux qu'Hardy tout de même.



からたち日記

 Comme c'est un slow, l'irrégularité musicale n'est pas trop soulignée, mais l'impression musicale reste très étrange. Si cette chanson a été bien accueillie par le peuple, on peut supposer que c'est parce que la mélodie respectait le rythme intérieur de la langue japonaise, au dépens de la musicalité normale. Mais l'honneur de cette innovation musicale n'est pas attribué à Endô Minoru. D'ailleurs, s'il s'agissait d'une autre plante que le "citronnier épineux" (karatachi), cela n'aurait jamais été un tube. Déjà, la maison de disque aurait refusé de faire chanter cette chanson bizarre à la jeune star (l'image de YouTube est de 1975).
 Le génie de la musique japonaise contemporaine, YAMADA Kôsaku, alias Kósçak Yamada (1886-1965), avait composé からたちの花 Karatachi-no hana (Fleurs du poncirus), avec la parole du grand poète KITAHARA Hakushû. C'est parce que cette chanson existait déjà que celle de Shimakura Chiyoko est intitulée Karatachi nikki, bien que le refrain répète karatachi-no hana.
 Yamada Kôsaku, bon observateur de la langue japonaise, a même inventé sa propre transcription alphabétique du japonais (dont son prénom Kósçak), et composé quelques oeuvres expérimentales pour faire valoir le rythme intérieur du japonais parlé. Karatachi-no hana fut un grand scandal musical. Yamada Kôsaku a également composé des dôyô et des shôka, mais cette chanson est une oeuvre "sérieuse" (kakyôku, air musical). C'est que les Japonais aimaient ce morceau que la chanson de Shimakura Chiyoko a pu être un grand tube. L'intro de Karatachi nikki cite une parcelle de la mélodie de Karatachi-no hana. (Malheureusement, la transcription alphabétique de Yamada Kôsaku était trop fantaisiste, mais c'était une bonne tentative.)



からたちの花(Maki Mori)

 Yamada est un vrai casse-pied pour les chanteurs. Par exemple, le compositeur a mis l'indication ppp sur le na de shiroï shiroï hana-ga. Vous voyez que c'est carrément impossible à chanter, et cette cantatrice ne respecte pas la volonté de l'artiste ici.
Les fleurs du poncirus se sont épanouies.
Ce sont des fleurs toutes blanches.

Les épines du poncirus piquent.
Ce sont des épines toutes vertes.

Le poncirus, c'est la haie du champ.
Je passe toujours par ce chemin.

Même le poncirus porte des fruits en automne.
Ce sont des fruits dorées tous ronds.

J'ai pleuré aux côtés du poncirus.
Tout le monde était gentil.

Les fleurs du poncirus se sont épanouies.
Ce sont des fleurs toutes blanches.

(Texte original)
 Ma traduction n'a aucune saveur ;-(
 Je mets l'image pour me faire excuser.

samedi 13 décembre 2008

Chansons pour enfants au Japon: shôka

 Le mot shôka 唱歌 voudrait dire "chansons à chanter" à la lettre, parce que ces deux idéogrammes signifient respectivement "chanter" et "chansons". Mais ce mot a un sens spécifique. Ce sont des chansons pour enfants, composées au cours d'environ cent ans, dès l'ère Meiji jusque dans les années 1950-1960 au plus tard, mais le mouvement a fini de facto avec la Deuxième Guerre mondiale. C'est le gouvernement qui a pris l'initiative de ce projet musical, tandis que le dôyô 童謡 "chansons enfantines" était un mouvement littéraire et musical des artistes qui n'étaient pas contents du shôka trop formaliste. Déjà, les paroles de shôka sont souvent difficiles à comprendre, parce qu'elles sont écrites en japonais "littéraire" (bungo 文語, "langue écrite" à la lettre), alors que le talent des poètes excellents comme KITAHARA Hakushû (1885-1942) (le premier poète symboliste au Japon, malheureusement mal connu à l'étranger) et NOGUCHI Ujô (1882-1945) s'exerçait pour le mouvement dôyô. Je préfère de loin le dôyô au shôka, mais je donne quelques exemples de shôka d'abord. Le slogan du gouvernement Meiji était "sortir de l'Asie, entrer en Europe", et le projet de shôka en faisait une partie importante pour changer la sensibilité japonaise. Cela ne veut pas dire que ces mélodies sont franchement occidentales, mais elles montrent les efforts de l'émulation. Il faut connaître un minimum de shôka et de dôyô pour comprendre la sensibilité des Japonais modernes. (Les Japonais confondent très souvent ces deux genres. Ils croient que le shôka et le dôyô veulent dire la même chose, mais ce sont des catégories historiquement distinctes l'une de l'autre.)
 Vous pouvez probablement constater que, si certains Japonais montrent l'allergie à être confondus avec les Chinois, cela concerne souvent la sensibilité musicale. Ils crient: "C'est une mélodie chinoise, ça n'a rien de japonais!" C'est qu'on donne l'éducation musicale à l'école toujours avec le shôka, qui porte la trace de la modernisation de l'ère Meiji. Même à présent, Kim Jong-Il donne beaucoup d'importance à la politique musicale, et les Japonais d'avant-guerre étaient un peu comme les Nord-Coréens actuels. C'est peut-être la particularité de l'Asie de l'Est.
 La première tentative pour émuler la musique européenne était "Hana (Fleur)" (1900) de TAKI Rentarô (1879-1903). Ce n'est pas un shôka proprement dit, vu que cette chanson n'a pas été composée pour enfants, mais elle est maintenant considérée comme un morceau qui représente le genre. D'ailleurs, Taki a composé beaucoup de shôka pendant sa vie trop courte.
 Les arrangements sont trop bizarres, mais je ne peux trouver mieux :(



花/滝廉太郎/無伴奏女声三部合唱
Sur le fleuve Sumida dans la douceur du printemps,
Montent et descendent les bateliers.
Même les gouttes d'eau tombent comme les pétales de leurs rames.
A quoi doit-on comparer le cours d'eau?
 "Utsukushiki tennen (La Belle Nature)" est la première valse composée au Japon (1905). L'interprétation est de Soul Flower Mononoke Summit, un des mes groupes favorits. La mélodie est plutôt connue comme la musique de cirque maintenant.



美しき天然

 "Sôshunfu (Début de printemps)" (1913). L'image est tirée d'une émission de NHK "Minna-no uta" (Chansons pour tous). Le dessin est de HAYASHI Seiichi (Sékishoku Elégie, L'Elégie rouge).


早春賦
C'est le printemps sur le calendrier, mais le vent est froid.
Bien que le rossignol uguisu dans la vallée veuille bien chanter,
Il reste muet en se disant que ce n'est pas encore le temps.
 "Oboro-dzukiyo (Soir à la lune vague)" (1914). La chanteuse ISHIKAWA Sayuri dit que c'est un dôyô. Bon exemple de confusion, mais le problème est qu'elle n'est pas bête.


日本の情景・春 朧月夜 石川さゆり 1993年 Ishikawa Sayuri
Le crépuscule s'assombrit sur le champ de colza.
La brume est dense partout sur les cimes de la colline.
Je vois le ciel où la bise printanière souffle,
Et trouve la lune de soir qui brille légèrement.
 "Fuyu-géshiki (Paysage d'hiver)" (1913). L'interprétation est comme il faut, mais pas plus. Une bonne partie de shôka est appelée "monbushô-shôka", shôka du ministère de l'éducation nationale. Et souvent ni le parolier ni le compositeur ne sont identifiés. Cette chanson en est un exemple.



冬景色
Au port où le brouillard léger disparâit,
Le givre matinal est blanc sur le bateau.
On n'entend que le chant d'oiseaux de mer,
Et la maison au bord ne se réveille pas encore.
"Umi (La mer)" (1913). Un autre monbushô-shôka. Ne tenez pas compte de l'image inexistante. Je préfère toujours les chœurs de jeunes filles pour ce genre de shôka.




Là au loin où le bois des pins disparaît,
On voit une voile blanche qui flotte.
Les filets sont hauts, séchés au bord de mer,
Les mouettes sont basses, volant à fleur des vagues.
Regarde la mer sous le soleil.

 "Hamabé-no uta (Chanson de la plage)" (1918). L'enregistrement est de 1941, chanté par Li Xianglan (Ri Kôran). Li Xianglan était le pseudonyme de YAMAGUCHI Yoshiko, Japonaise née en Chine. Li Xianglan était une grande star en Chine pendant la Deuxième Guerre mondiale. Elle se faisait passer pour une vraie Chinoise de peur de décevoir les Chinois et les Japonais. Accusée de trahison contre l'Etat de Chine, elle a avoué qu'elle était japonaise et en a été acquittée. Faisant son mea culpa, elle a été élue sénatrice socialiste. Elle a joué dans les films de Samuel Fuller sous le nom de Shirley Yamaguchi. Née en 1920, elle est toujours vivante. C'est un grand personnage respectable malgré son passé ambigu.


浜辺の歌 李 香蘭
J'erre sur la plage le matin,
Et je me souviens d'autrefois.
Le vent, le bruit, la forme de nuages.
Les vagues qui s'abordent, la couleur de coquillages.
 Elle chante 風よ音よ (kazé-yo oto-yo, le vent, le bruit) fidèlement à la parole originale, mais le sous-titre est 風の音よ (kazé-no oto-yo, le bruit du vent), plus compréhensible en effet, mais qui ne respecte pas l'auteur. Il est vrai que tous les Japonais chantent kazé-no oto-yo à présent, mais cela veut dire que ce peuple ne respecte pas leur patrimoine culturel.

 "Yashi-no mi (Noix de coco)" (1936). La parole est de SHIMAZAKI Tôson (1901), mais le gouvernement au temps de guerre en a fait une chanson particulièrement ambiguë, sous la politique de l'expansion vers l'Asie du Sud-Est.
 La chanteuse s'appelle UA. C'est une bonne chanteuse.



UA ううあ やしのみ 椰子の実

 Pas mal de parents et de profs veulent désormais que ces chansons shôka n'apparaissent plus dans le manuel scolaire, parce que les paroles sont trop difficiles pour les enfants selon eux. Il y a quelques mois, une petite fille de douze ans a écrit au journal Asahi Shinbun, pour dire qu'elle voulait bien apprendre les mots difficiles par ces belles chansons... Bien que ce ne soit que des produits de la politique musicale du gouvernement impérial d'avant-guerre, je pense qu'il faut transmettre ce patrimoine culturel à nos enfants.

dimanche 7 décembre 2008

Est-ce qu'il est vrai qu'il est mal vu de se moucher en public au Japon?

 Je l'ai entendu de mes élèves français plusieurs fois, et le quiz de RTL en a parlé récemment. Au Japon, il ne faut pas se moucher en public, car c'est considéré comme malpoli. Cyril Hanouna a ajouté qu'on préfère renifler plutôt que de se moucher au Japon pour cela, d'un ton assez sérieux. Ce cliché me met mal à l'aise, car je ne vois pas d'où il est venu.
 Mais j'ai enfin compris! Ouf. (Enfin, je crois avoir compris.) En fait, le vrai savoir-faire japonais est de "ne pas se moucher dans le mouchoir en tissu". Je ne sais pourquoi, mais cette civilité des Japonais modernes (car on le faisait avant) aurait changé en une autre chose. C'est peut-être le téléphone japonais ;) En effet, il est considéré comme peu hygiénique de se moucher dans le mouchoir en tissu. Il faut se moucher dans le mouchoir en papier, et le jeter dans la poubelle de suite. C'est une question d'hygiène, mais pas de politesse. Je ne sais s'il est scientifiquement prouvé qu'il n'est pas hygiénique de se moucher dans le mouchoir en tissu dans le Japon humide, ce n'est qu'une croyance populaire sans doute. Mais en tout cas, je suis énervé d'entendre tout le temps que tout est la question de politesse au Japon. (C'est parce que je ne suis pas un Japonais poli bien sûr! ;-p)
 Moi, je ne connais personnellement aucun Japonais qui préfère renifler plutôt que de se moucher, mais c'est peut-être parce que je suis provincial. Je ne connais pas toutes les "bonnes manières" japonaises! (Mais j'ai vécu à Tokyo pendant presque dix ans.) Il est possible que cette règle soit inscrite quelque part dans le protocole des nobles japonais, j'en sais rien! En tout cas, c'est ridicule de ne pas se moucher quand on est enrhubé. :D Vous n'avez pas besoin de faire exagérément du grand bruit, c'est pareil en France. Je peux au moins assurer que vous ne choquez personne en se mouchant normalement dans le mouchoir en papier. D'ailleurs, les Japonais sont tellement bizarres que je ne serais pas étonné si mes compatriotes résidant en France répétaient ce qu'ils ont entendu comme une politesse japonaise de la bouche des Français.

 Mais pourquoi les Japonais parlent-ils toujours de leur politesse spécifique? A mon avis, ils prononcent ce mot quand ils ne savent pas comment expliquer une coutume ou une habitude. Cette "politesse" peut être remplacée par le "snobisme" dont parle le philosophe hégélien d'origine russe Alexandre Kojève. Je cite le passage assez connu au Japon (mais un peu abscons, je dois le dire).
 J'ai pu y observer une Société qui est unique en son genre [au Japon en 1959], parce qu'elle est seule à avoir fait une expérience presque trois fois séculaire de vie en période de "fin d'Histoire", c'est-à-dire en l'absence de toute guerre civile ou extérieure (à la suite de la liquidation du "féodalisme" par le roturier Hideyoshi et de l'isolement artificiel du pays conçu et réalisé par son noble successeur Yieyasu). Or, l'existence des Japonais nobles, qui cessèrent de risquer leur vie (même en duel) sans pour autant commencer à travailler, ne fut rien qu'animale.
 La civilisation japonaise "post-historique" s'est engagée dans des voies diamétralement opposées à la "voie américaine". Sans doute, n'y a-t-il plus au Japon de Religion, de Morale, ni de Politique au sens "européen" ou "historique" de ces mots. Mais le Snobisme à l'état pur y créa des disciplines négatrices du donné "naturel" ou "animal" qui dépassèrent de loin, en efficacité, celles qui naissent, au Japon ou ailleurs, de l'Action "historique", c'est-à-dire des Luttes guerrières et révolutionnaires ou du Travail forcé. Certes, les sommets (nulle part égalés) du snobisme spécifiquement japonais qui sont le Théâtre Nô, la cérémonie du thé et l'art des bouquets de fleurs furent et restent encore l'apanage exclusif des gens nobles et riches. Mais, en dépit des inégalités économiques et sociales persistantes, tous les Japonais sans exception sont actuellement en état de vivre en fonction de valeurs totalement formalisées, c'est-à-dire complètement vides de contenu "humain" au sens d'"historique". Ainsi, à la limite, tout Japonais est en principe capable de procéder, par pur snobisme, à un suicide parfaitement "gratuit" (la classique épée du samouraï pouvant être remplacée par un avion ou une torpille), qui n'a rien à voir avec le risque de la vie dans une Lutte menée en fonction de valeurs "historiques" à contenu social ou politique. Ce qui semble permettre de croire que l'interaction de compte non pas à une rebarbarisation des Japonais, mais à une "japonisation" des Occidentaux (les Russes y compris).
 C'est un peu daté, mais sa prophétie sur la japonisation n'était pas vraiment fausse. Moi, humaniste, j'essaie d'y mettre des obstacles, en commençant par refuser la soi-disant politesse japonaise, vide de sens historique et humain.

P.S. Apparemment, il est interdit de se moucher pendant la cérémonie du thé. Mais je ne peux penser que cette règle vraiment particulière est l'origine de ce cliché, vu que la plupart de Japonais ne pratiquent pas ce soi-disant art.


Momoyama Harué

 La musicienne chanteuse MOMOYAMA Harué 桃山晴衣 est morte à l'âge de 69 ans le 5 décembre. Joueuse de shamisen, elle est surtout connue pour son album de 1981 "Ryôjinhishô" 梁塵秘抄, qui fait ressusciter les paroles des chansons populaires du 12e siècle, purement considérées comme des œuvres littéraires jusque là, avec la musique originale, composée selon l'hypothèse de la musique pan-orientale, qui traverse la bande géographique qui passe des pays maghrébins jusqu'au Japon.

 Elle a également su donner le nouveau souffle à d'autres chansons populaires du Japon. Elle a joué avec beaucoup de musiciens orientaux, notamment avec le joueur de oud égyptien Hamza El Din. Elle a fait la musique de La Tempête, mise en scène par Peter Brooke. Elle a écrit des livres sur la musique traditionnelle japonaise. Son mari est TSUCHITORI Toshiyuki, le percussionniste.

 Ryôjinhishô est le recueil des poèmes anonymes édité par Goshirakawa jôkô vers 1180. La plupart des paroles sont d'inspiration bouddhiste, mais elles ne sont nullement dogmatiques, car elles relèvent de la foi plus ou moins naïve du peuple. Le recueil contient également des poèmes érotiques. Malheureusement, la plupart des poèmes ont disparu. Complètement oublié pendant plusieurs siècles, le recueil a été redécouvert à l'aube du 20e siècle par le poète SASAKI Nobutsuna, également connu comme le savant qui a établi l'édition critique de Man'yôshû. Tout en étant jôkô ("empereur en retraite") à la fin de l'aristocratie à l'ère de l'avènement des samouraïs, Goshirakawa était follement amoureux des chansons populaires de l'époque. Il y a plusieurs empereurs qui ont laissé des œuvres littéraires, mais il est tout à fait exceptionnel pour son amour de la musique populaire.
 Le recueil contient également des notices musicales, mais elles sont difficilement déchiffrables, car la tradition est complètement perdue. Personne n'a osé mettre ces poèmes en musique à cause de cela, mais Momoyama l'a fait avec sa musique originale. Profanation des œuvres médiévales? Mais non. Car les mots les plus connus de Ryôjinhishô sont ainsi:
遊びをせむとや生まれけむ Peut-être est-on né pour jouer.
戯れせむとや生まれけむ Peut-être est-on né pour s'amuser.
 Ce premier vers 遊びをせむとや生まれけむ (Asobi-o sé-n-to-ya umaré-ken) était le titre original de l'album de Momoyama. Ces deux lignes sont bien ma citation favorite de la littérature japonaise :-)

vendredi 5 décembre 2008

Je vous en supplie, pas d'inepties comme ça!

 J'ai reçu ce courriel hier. Entre crochets, c'est moi.
Hello,
Votre blog, 'cho omoshiroï' ! [trop intéressant] Même si je ne comprends pas tout. Vous êtes traducteur, mais il me semble que vous n'avez aucune chance de trouver un job dans ce domaine, surtout si vous avez plutôt appris le français littéraire. Et encore moins de chance, de trouver un tel job à Aomori, sauf dans le domaine nucléaire, avec la centrale de Rokkasho. Est-ce qu'il y a déjà 5 mètres de neige à Aomori ?
Je me souviens bien qu'il y a même un système d'eau chaude sur l'avenue principale pour faire fondre la neige.
Heureusement que vous pouvez encore compter sur vos parents pour vous aider, même à 41 ans. De toute façon, aucune entreprise japonaise ne voudrait embaucher quelqu'un qui a CV comme le vôtre ! Vous êtes marginalisé et bon pour faire le 'Freeter' [employé intérimaire], et encore....
 5 mètres de neige? Il paraît qu'il connaît très bien le Japon, dites donc. Pédophiles, chômeurs, consanguins, bienvenue à Aomori? La centrale nucléaire de Rokkasho embauche toujours des traducteurs-interprètes? Ouais... il est au courant, bien sûr... Et qu'est-ce qu'il veut dire par 'le français littéraire'? C'est un peu comme l'arabe classique? G o6 appris le franC SMS, je croit ke sa fé gagné, non? Mais comme même!
 J'ai eu l'extrême gentillesse de répondre à cette ânerie.
'Heureusement que vous pouvez encore compter sur vos parents pour vous aider, même à 41 ans.'
Mais d'où sortez-vous cette connerie? Mon père est décédé il y a douze ans et c'était un ouvrier. Il me semble que vous n'êtes même pas au courant que le Japon est un pays démocratique. Vous vous plaisez dans la caricature et les clichés, faites ce que vous voulez, mais ne m'écrivez pas des inepties comme ça.
Honte à vous.
 Je me demande vraiment où ils ont entendu cette idiotie 'Au Japon, il faut le CV des parents pour avoir un bon boulot', car j'en ai déjà été embêté par d'autres 'moi, je connais bien le Japon'. Est-ce une légende urbaine du Japon très connue en France? Moi, j'ai fait mes études à l'école nationale des langues étrangères à Tokyo (le nom officiel en français est l'Université de Tokyo des langues étrangères, mais je le trouve peu heureux, car cette école n'a rien à voir avec l'Université de Tokyo), mais franchement, je ne connais presque aucun ami qui ait été embauché grâce aux parents. Si ça existe, c'est une histoire du fils à papa qui n'a pas sérieusement fait ses études. C'est bon pour la mauvaise série télévisée. Et mon école n'a rien à voir avec ces universités privées que fréquentent les oisifs riches presque illettrés. Ils ne sont même pas la majorité des étudiants japonais, et alors, pourquoi ce cliché ridicule? (Est-ce la faute de mes compatriotes bizarres qui adorent trop les clichés sur les Japonais? Il faut se méfier des Japonais qui parlent de leur civilisation!, sauf moi bien sûr ;-p)
 J'aurais regretté d'avoir envoyé ma réponse dans un emportement. Très mauvaise, mais c'était peut-être une plaisanterie... Mais hélas, j'ai eu droit à sa réponse pire que le message précédent...
Désolé,
Mais si vous cherchez du travail, comme vous le dites sur votre blog, et que vous avez 41 ans, que vous avez étudiez 10 ans à l'université en France ? [J'ai vécu en France pendant dix ans, mais je n'ai pas fait dix ans d'études en France quand même.]
Donc vous n'avez pas réussi à obtenir le doctorat. Vous avez essayé, c'est déjà beaucoup. [Ouais, j'ai fait la déprime...]
Il semble que vous ayez de sérieux problèmes pour subvenir seul à vos besoins ?
Votre père est décédé, mais son entreprise de fabrication de sauce de soja, existe encore n'est-ce-pas ? [C'est étonnant comment il peut s'obstiner à garder sa chère image du Japon.]
Grâce à cela vous subvenez à vos besoins, et puis vous habitez sans doute dans la maison parentale ?
Sinon, dites moi pourquoi c'est faux, puisque mes déductions résultent des renseignements que vous donnez sur vous dans votre blog ?
Et en plus, la nuit vous surfer au lieu de dormir ? [Il est vrai que je lui ai envoyé ma réponse à 3h du mat, mais je vais au lit à minuit tous les jours.]
Alors j'en déduit que vous ne devez pas vous lever de bon heure pour aller travailler.
Sachez cher monsieur que je connais très bien le Japon, de même que Aomori. [Oui, oui, bien sûr, je n'ai aucun doute là-dessus.]
La honte devrait plutôt vous envahir vous ! pourquoi moi ? je ne suis [pas] né dans le pays de la Honte, le Japon. [Ca, c'est un compliment.]
Vous êtes agressif dans votre réponse alors que je vous envoyé un message amical. [Est-ce que quelqu'un peut comprendre comment il peut trouver amical son message tellement irrespectueux et insolent envers moi??? Même à 41 ans, je dois demander l'aide de mes parents pour trouver un boulot, 'le Japon, c'est un pays comme ça, je le connais très bien', c'est ce qu'il dit, et il le trouve amical???]
Parce qu'à 41 ans sans travail au Japon, c'est la honte suprême !
Et célibataire, alors c'est encore pire ! [Mais qu'est-ce qu'il a contre le célibat?...]
Dans la société japonaise, on dira que vous êtes bizarre, que vous n'êtes pas 'futsu' [normal]. Je vous plains, [Les Japonais doivent être normaux, suivant respectueusement les normes japonaises. C'est ce qu'il croit, je ne sais pourquoi. Même mes compatriotes ne me demandent pas d'être un Japonais 'normal', à moi qui ai vécu longtemps à l'étranger, mais lui, le nipponomane, me l'exige!]
Enfin, le Japon est loin d'être une véritable démocratie comparable aux pays d'Europe et autres. [Vive la Sarkozie!]
Sincèrement, ce ne serait pas vous qui écrivez des conneries dans votre blog ?
Que savez vous de la démocratie ? on n'apprend pas cela en littérature mais en droit. [Mouais, apparemment, c'est son très grand complexe, la littérature...]
Si votre père était un ouvrier, comment avez vous pu financer vos études ? Même en France, il faut de l'argent pour vivre, bien que les frais de scolarité sont ridicule à côté du Japon, où l'éducation est une  comme une marchandise qui coûte chère. [Les bons étudiants peuvent bénéficier d'exonération des frais d'études et d'une bourse (qu'on doit rembourser, mais tout de même). Et lui, c'est LE spécialiste du Japon!]
Certainement, que vous ne regardez plus votre pays comme il y a dix ans, vous en percevez maintenant tous les gros défauts.
Personne ne vous embauchera plus au Japon sauf comme 'Freeter'. [Il croit ce qu'il a entendu. Chapeau.] Même dans le domaine de la traduction, on ne vous donnerait que 1800 yens de l'heure. C'est honteux, n'est-ce pas !
Conclusion, vous êtes impoli et agressif, tout le contraire d'un Japonais. Vous êtes vraiment Japonais ou bien vous vous moquez des gens sur votre Blog ? [Mais pourquoi doit-il toujours se dire 'Les Japonais, ils sont comme ça'?]
Surtout qu'on ne peut pas bien vous voir sur la photo.
Vous êtes peut-être un de ces maudits français qui se fait passer pour un Japonais ? [Si je ne conviens pas à son image des Japonais, il veut m'enlever la nationalité japonaise?! Quel monde merveilleux! D'ailleurs, les 'Japonais' n'ont pas forcément la physionomie des Japonais ces jours-ci. Il y a des 'blancs' qui ne parlent que japonais.]
Si tout cela est faux, merci alors de me dire ce que vous faites exactement ? [Mais je le dis ouvertement: j'effectue des traductions. J'admets que l'argent que j'en tire n'est pas suffisant, mais alors?]
Enfin, il n'y a pas d'âge au Japon pour rester chez ses parents, c'est très courant, n'est-ce pas ? [Et alors? J'ai passé dix ans en France, je suis retourné à mon pays l'année dernière et je vis actuellement chez ma mère. Je partirai ailleurs l'an prochain, je n'en sais rien. Il est intéressant de constater que l'homme qui disait "Je connais très bien le Japon" tout à l'heure se transforme soudain en champion des valeurs familiales françaises. Il n'arrive pas encore même au niveau Tanguy. ;-p]
C'est vrai qu'il y a beaucoup de choses honteuses au Japon dont il vaut faire comme si elles n'existaient pas et ne jamais en parler. [Peut-être qu'il n'a jamais lu mon blog qu'il trouve 'trop intéressant'.]
 Je mets sur l'accueil de MySpace les photos de la maison que j'ai habitée quand j'étais petit, mais mon père avait fermé l'usine même avant que je ne sois né. (Ce n'était qu'une toute petite usine, mais cette personne parle de 'l'entreprise de fabrication de sauce de soja' mdr) Il était concessionnaire de voitures après, mais il a été licencié en refusant la mutation. Tellement il était attaché à la région. Mon père que je connaissais était un pompiste. Je le regrette toujours, et si j'ai honte de mon état actuel, c'est seulement envers lui.
 Je recherche un emploi fixe parce que j'ai marre de l'instabilité. Et cet homme sort ce mot qu'il a entendu quelque part: Freeter. Est-ce qu'il connaît le sens de ce mot? Je ne crois pas. (C'est un autre mot diabolique qui est fait de free [anglais] et Arbeiter [allemand].) Ce sont des mains-d'oeuvre, et je dois m'y mettre? (Je respecte les ouvriers, mais je ne sers pas à grand'chose comme une main-d'oeuvre.) Et lui, il connaît la réalité du Japon comme ça? Mais il me prend pour qui?
 Je ne sais pas vraiment, mais peut-être est-ce une zemmouritude (qui se veut anti-gauche politiquement incorrecte) qui est maintenant à la mode en France apparement. Qu'il soit conscient de ce que tout ce qu'il dit n'est que la caricature du Japon actuel, je ne pense pas que c'est trop demander.

P.S. Je crois que j'en ai déjà parlé dans ce blog, mais la fameuse thèse de 'la civilisation de la Honte' est celle de l'Américaine Ruth Benedict, qui a eu une très mauvaise idée de conseiller à Roosevelt de ne pas toucher au régime impérial au Japon. Je n'ai aucune obligation de respecter cette image du Japon, très 'vue d'ailleurs'.

P.P.S. Ce qui me fait le plus marrer est son raisonnement niveau CM2.

Vous avez fait les études littéraires.
Donc vous ne connaissez que la littérature.
La littérature, ça fait pas gagner.
Donc vous n'êtes bon qu'à faire le travail intérimaire.




 Comme ça, il croit parler du Japon, mais en vérité, il ne fait que dévoiler ses anciens préjugés d'un parvenu petit-bourgeois très très moyen (oups! je fais la déduction de merde comme lui!) ;-p
 Et ce qui m'énerve plus que tout, c'est qu'il y a peut-être des Japonais typiques et sympathiques tout à fait son genre, qui répondraient à ce mépris sournois et "amical", par un sourire ambigu, et il l'espérait de ma part!!! grrrr

 Je vous préviens. Si vous récidivez, je publierai votre nom. Vous serez couvert de honte même dans votre pays glorieux. Pensez à vos proches.

lundi 1 décembre 2008

Opération favoritisme

 On rencontre souvent la fétichisation des mots en japonais. Elle est complètement intraduisible et incompréhensible pour les non Japonais. Par exemple, on peut entendre ce genre de dialogue entre un enfant et un adulte.
大きくなったら何になりたい? Qu'est-ce que tu veux faire quand tu seras grand?
パティシエになりたい! Je veux être pâtissier!
お菓子屋さんになりたいんだ。Tu veux être pâtissier (okashiya), c'est ça?
ちがう、お菓子屋さんじゃなくて、パティシエ! Mais non, je veux être pâtissier, mais pas pâtissier (okashiya)!
 Quand le philosophe Kripke réfléchissait sur la question des noms propres, il parlait d'un Français dont le rêve était d'habiter à Londres. Il a réussi à vivre à Londres, mais il ne s'en rend pas compte, car la ville qu'il habite maintenant s'appelle London en fait. Ainsi, a-t-il voulu controverser la thèse de Bertrand Russel qui disait que les noms propres étaient définissables ("Aristote est l'homme qui a écrit L'Ethique de Nicomaque").
 Au Japon, celui qui mange du nata de coco ne se rend pas compte que ce qu'il consomme est un coconut, et il arrive qu'il doit se contenter de prendre du café au lait quand il veut boire le caffè latte. Tous les Japonais vivent tous les jours la question kripkéenne.
 Il faut tenir compte de ce fait pour comprendre l'affaire Tamogami. Il paraît que ce capitaine de l'armée de l'air n'aime pas que le Japon soit appelé un "pays envahisseur"(侵略国家, shinryaku kokka). Il prétend qu'il est inadmissible que seul le Japon soit qualifié de pays envahisseur, tandis qu'il n'y a aucun autre pays qui soit appelé ainsi. Le problème est tout simple, mais assez difficile à se rendre compte: Dans la tête de Tamogami, le mot shinryaku kokka est fétichisé. Finalement, ce n'est qu'une question de terminologie jargonisée qui manque complètement de souplesse d'interprétation. Pour Tamogami, si on accusait l'allemagne nazie de tous les crimes de la guerre, et que les pays européens se repentissent de l'impérialisme et du colonialisme, ce n'est pas son problème, à moins qu'ils ne soient qualifiés précisément de shinryaku kokka en japonais. "Il n'y a que le Japon qui soit appelé comme ça, et c'est injuste", cette parole est bien incrustée dans sa tête, et sa logique est inébranlable à jamais. Il suffirait donc que quelqu'un appelle les pays européens "shinryaku kokka" devant lui pour qu'il change d'avis! Il faut qu'il sache tout simplement que London est un autre nom pour Londres, et le pâtissier est okashiya en japonais. Paradoxalement, c'est lui qui dit que les autre grands pays n'ont jamais été envahisseurs, et il ne le sait pas lui-même, car tout simplement, il n'a jamais entendu le mot shinryaku kokka pour qualifier ces pays.

 Et ce Tamogami a parlé de la grande opération favoritisme (えこひいき大作戦) dans un autre article qu'il a publié dans une revue. L'expression est stupide et fâcheuse. Il paraît qu'il victimise les agents des Forces d'autodéfense (autrement dit, les soldats de l'armée japonaise) qui vivent une difficulté après la Deuxième Guerre mondiale dans ce pays pacifiste. Et il prétend que les soldats ont le droit au favoritisme pour équlibrer la situation défavorable pour l'armée.
 Voici un exemple de l'opération favoritisme. Le patron d'une chaîne d'hôtellerie, sympathisant de la thèse révisionniste de Tamogami, a eu droit à monter dans un avion chasseur, bien qu'aucune personne privée n'en ait le droit. Et un très curieux hasard veut que ce patron organise le concours des essais où Tamogami a obtenu le premier prix avec son fameux écrit. Les autres membres du jury ont tous voté sans connaître les candidats, mais l'organisateur du concours, qui était à la place de savoir les noms des auteurs, a donné le plus de points à son ami. Et personne dans le jury ne savait même pas que le vote de l'organisateur était compté. Comme cela, l'opération favoritisme est réciproque.
 Maintenant on sait que quelqu'un comme Tamogami qui n'a aucune honte à faire parade de cet acte injuste de favoriser ses amis avec les moyens publics de l'armée était au siège du chef de l'armée de l'air. Et les Japonais s'en foutent complètement, et même aujourd'hui il récidive ses âneries, et la télé est tout contente d'en parler sans montrer aucune attitude critique envers lui. Ce que le monde est beau.

dimanche 30 novembre 2008

Le bronzi

 Un patineur français qui s'appelle Yannick Ponsero, que je ne connaissais pas, était sur le gala de NHK Trophy tout à l'heure. Le sous-titre disait que la musique était intitulée Le Bronzi (en lettres latines). En fait, c'était Les Bronzés lol Est-ce que la NHK n'avait que la BO en CD italien? ;-p Il est très probable que le sous-titreur n'a rien compris à ce qu'il a entendu comme titre, et il a mis sur l'écran l'orthographe la plus probable selon lui, tout en ne sachant pas de quelle langue il s'agissait. Il aurait dû l'écrire en katakana tout bonnement...
 Peut-être que ce Yannick, dont la prestation faisait référence aux films, ne savait pas du tout que les Japonais ne les ont jamais vus. (Patrice Leconte est le réalisateur de Monsieur Hire pour eux.) Et l'accueil du public japonais était bien chaleureux. Je ne crois pas qu'ils comprenaient la moindre chose de ce que Ponsero trouvait drôle dans sa présentation, mais tout le monde était apparemment content. Même le présentateur ne voyait pas pourquoi le patineur était au ski et puis en bermuda, mais son commentaire était "Il saisit le coeur du public!" Tout le monde il est beau, il n'y a plus de frontières pour les cultures... Et personnellement, moi, j'ai bien du mal avec ces films trop franco-français.

vendredi 21 novembre 2008

Le premier ministre illétré

 Le taux d'opinions favorables pour le premier ministre Asô Tarô baisse considérablement depuis une semaine. Il est maintenant moins de 40%. Mais pourquoi? Le peuple a découvert avec ahurissement qu'il ne lisait vraiment que des mangas. Il le disait ouvertement, mais je croyais qu'il le prétendait pour gagner de la popularité auprès des jeunes. Mais on sait maintenant qu'il ne mentait nullement en le disant. La preuve est qu'il ne sait pas lire les caractères chinois... Et cela n'a vraiment rien à voir avec la ségolénitude ou la sarkozytude.
 Voici la liste des mots dont il a donné publiquement la mauvaise lecture.
踏襲 (suivre le pas) (lecture correcte) とうしゅう tôshû - (lecture de Manga Asô) *ふしゅう *fushû
詳細 (détails) しょうさい shôsaï - *ようさい *yôsaï
未曾有 (inouï) みぞう mizoü - *みぞうゆう *mizôyû
怪我 (blessure) けが kéga - *かいが *kaïga
有無 (existence) うむ umu - *ゆうむ *yûmu
措置 (mesures [à prendre]) そち sochi - しょち shochi (処置)
頻繁 (fréquent) ひんぱん hinpan - はんざつ hanzatsu (煩雑)
 Ce que les gens ne disent pas dans la consternation, c'est que toutes ces fautes sont "intéressantes", très variées. C'est vraiment l'anthologie des fautes!
 La faute la plus grave est le premier exemple. La lecture on'yomi (lecture fidèle à l'ancienne prononciation chinoise en principe) du kanji 踏 est , tandis que la kun'yomi (lecture-traduction en japonais) est fumu. Il est vrai qu'on écrit 踏む (le kanji + le hiragana mu) pour le verbe fumu, mais la lecture du caractère ne donne jamais fu tout seul, car ce son fu ne veut rien dire ainsi. C'est le mot fumu (mettre le pied dessus) qui est la traduction du caractère. On ne fait pas la soustraction! C'est une faute au niveau écolier. (La composition générale du mot à deux kanji est on'yomi + on'yomi.)
 On pourrait hasarder une interprétation pseudo psychanalytique. Ce n'est qu'une erreur d'un enfant pré-ado en soi, mais cela ne laisse pas de faire remarquer qu'il y a un autre mot fushû en japonais. Asô a lu le manuscrit préparé par un haut fonctionnaire sur lequel était écrit que le gouvernement japonais actuel "suivait le pas" du discours de l'ancien ministre socialiste Murayama, qui a reconnu que le Japon a envahi l'Asie pendant la première moitié du 20e siècle. Le mot fushû (腐臭) veut dire "l'odeur pourrie". Il est bien possible que l'inconscient d'Asô réac, qui n'est pas meilleur que Tamogami, lui ait fait dire que le discours de Murayama sentait la pourriture.
 Le deuxième exemple avance d'un niveau. C'est une faute de collégien. Vive le progrès! Souvent la partie composante du kanji montre la prononciation. La "clef" du caractère 詳 est 言, et la partie composante est 羊. Quand vous ne savez pas comment lire un kanji, vous pouvez donnez la lecture on'yomi de la partie composante. C'est une astuce qui marche assez bien. Mais dans ce cas-là, la on'yomi de 羊 (), n'est pas la lecture correcte de 詳 (shô). Pas de chance, Tarochan!

 Les exemples de 未曾有, 有無 et 怪我 relèvent d'une autre difficulté très mal expliquée dans l'enseignement de la langue japonaise au Japon, ainsi que dans les manuels de japonais destinés aux étrangers. Un kanji possède assez fréquemment deux on'yomi: go'on (呉音) [le son du Wu] et kan'on (漢音) [le son du Han]. Au huitième siècle pendant l'ère de Nara, l'Etat naissant du Japon a envoyé des délégations en Chine. Et ces envoyés ont ramené au Japon la nouvelle prononciation de chinois, voire la lecture "correcte". Celle-ci est appelée kan'on, et l'ancienne prononciation, "lecture provinciale" pour ainsi dire, go'on. La kan'on a supplanté la go'on par les efforts de l'Etat, mais l'ancienne lecture est restée dans les mots élémentaires ou bouddhiques. La lecture kan'on de 有 est , et go'on, u. Il est vrai que la lecture de ce kanji est généralement , mais ces deux mots 未曾有 et 有無 sont des mots d'origine bouddhiques. Pas de chance, encore une fois! C'est pareil pour 怪我, la kan'on de 怪 est kaï, et la go'on, ké.
 Le cas de deux derniers mots de la liste est complètement différent des exemples précédents. Asô a simplement confondu les mots. 措置 (sochi) et 処置 (shochi) (traitement) sont des mots très ressemblants qui portent à la confusion, un peu comme conjoncture et conjecture. Donc, je dirai que c'est la faute la moins grave. En plus, même si ces mots ne sont pas remplaçables, ce sont des synonymes, tandis que conjoncture et conjecture ne le sont pas.
 Mais l'autre cas 頻繁 (hinpan) et 煩雑 (hanzatsu), dont il est difficile de relever une moindre ressemblance, ne peut être expliqué qu'au niveau psychanalytique. Même si le mot 頻繁 était sur le manuscrit, ce n'est pas du tout une faute de lecture, mais un lapsus révélateur. Le mot 頻繁 veut dire "fréquent", mais 煩雑 "fastidieux". Ce que Asô dit dans la réunion pour l'amitié sino-nippone, était comme suit: "la visite réciproque des dirigeants des deux pays est de plus en plus fastidieuse" au lieu de "fréquente". C'est assez lamentable que les journalistes japonais ne parlent que d'une faute de lecture, sans y voir aucunement l'inconscient d'Asô.
 En tout cas, c'est très curieux que les Japonais généralement indifférents à la politique font baisser le sondage parce que le premier ministre ne sait pas lire les kanji.

mardi 11 novembre 2008

Le Japon est-il meilleur que l'Iran?

 Je crois que c'est Emmanuel Todd qui a dit que l'Iran était un pays paradoxal. Il est vrai que le régime est archaïque, mais le niveau de la démocratie de ce pays est plutôt avancé. Au Japon, c'est le contraire, ou bien la même chose. On sait (ou on croit) que c'est bien un pays démocratique, mais les autorités sont souvent dans l'obscurantisme misérabilissime.
 Le chef de l'armée de l'air Tamogami a été licencié parce qu'il a publié un essai "révisionniste". Ce terme est de moi, car les Japonais normaux n'ont pas la capacité d'appeler un chat un chat. Cet écrit est unanimement qualifié de "différent de l'opinion officielle du gouvernement", comme si tous les journalistes voulaient cautionner l'avis de ce capitaine, qui dit qu'il n'est pas vrai que le Japon a envahi l'Asie dans la première partie du vingtième siècle.
 J'ai téléchargé le fichier PDF de cet écrit, mais je ne l'ai pas encore lu. Mais j'ai lu le résumé un peu plus précis que celui qui avait été publié au lendemain de son limogeage. Sa thèse me fait bien rire. C'est bien une thèse de complot dont on a annoncé la mort il y a très longtemps. Tamogami parle du complot des communistes. Tchang Kaï-Chek a été manipulé par les espions communistes au sein du Guomindang, ainsi que Monsieur Roosevelt! Pour la Pearl Harbour, le Japon a été piégé par les communistes par le biais du président américain. Mais bien sûr...
 Aujourd'hui, on l'a interrogé à la Chambre Haute pour qu'il explique son avis. Il l'a défendu sans nullement s'excuser bien sûr, dans cet empire des excuses, et il a voulu que le Japon réforme la constitution pacifiste qui rejette la guerre.
 Et est-ce que c'est le tollé général? Mais pas du tout! Plusieurs sénateurs du Parti Libéral-Démocrate disent "Je ne vois pas où est le mal de l'opinion de Tamogami". Est-ce qu'ils sont conscients de ce qu'ils disent? Roosevelt, pantin des communistes? Les Américains n'étaient-ils pas vos amis? Etes-vous conscients de votre statut de sénateurs? Franchement, ça m'inquiète.
 (Par contre, je suis éberlué de l'indulgence des dirigeants étatsuniens. Ils savent probablement très bien que ces Japonais puérils ne savent pas du tout ce qu'ils disent.)

Deux poèmes de HAGIWARA Sakutarô

Visage malade au fond de la terre

Au fond de la terre surgit un visage,
Un visage d'un malade solitaire.

Dans les ténèbres au fond de la terre,
Doucement poussent les tiges d'herbes,
Apparaissent les nids de rats,
Se mettent à trembler les cheveux innombrables,
Qui s'y mêlent,
Poussent les racines fines des bambous verts,
Elles poussent,
Et elles paraissent bien funestes,
Comme si elles fumaient,
Vraiment bien funestes.

Dans les ténèbres au fond de la terre,
Surgit un visage d'un malade solitaire.

De Hurler à la lune (1917)


(Je désire aller en France)

Je désire aller en France,
Mais la France est trop loin.
Du moins prendrai-je ma nouvelle veste,
Et partirai en voyage sans destination.
Tout seul, je penserai aux jolies choses
M'appuyant à la fenêtre bleue
Quand le train passe dans la montagne.
A l'aube du mois de mai,
Comme veut le cœur où poussent les jeunes herbes.

Du Recueil des morceaux au cœur simple (1925)


HAGIWARA Sakutarô (1886-1942) est un poète japonais, généralement considéré comme l'innovateur de la poésie japonaise moderne. Son premier recueil de poèmes Hurler à la lune (1917) a été mis en indexe à cause de son immoralisme. Son poème sans titre qui commence par les mots "Je désire aller en France" reste fortement gravé dans la mémoire et l'inconscient de tous les Japonais francophiles.

vendredi 7 novembre 2008

Histoire d'un virtuose (nouvelle de NAKAJIMA Atsushi)

    NAKAJIMA Atsushi (1909-1942) est un romancier japonais, qui était doué pour la réécriture des contes anciens de l'Orient. On connaît d'autres écrivains qui sont connus pour avoir tenté le même genre, AKUTAGAWA Ryûnosuké (1892-1927) et DAZAÏ Osamu (1909-1948), par exemple. Mais différemment d'Akutagawa moraliste et Dazaï humoriste, la modernisation de Nakajima fait plutôt penser aux nouvelles intellectuelles de Borges et de Michel Tournier. Je pense qu'il aurait pu être un Borges japonais s'il n'était pas mort aussi tôt (à cause d'asthme). Je ne sais si je suis le seul à l'imaginer. C'est un écrivain que les Japonais apprennent au lycée, mais curieusement inconnu à l'étranger. Toujours moins connu qu'Akutagawa et Dazaï même au Japon, je suis néanmoins sûr que Nakajima est le meilleur du genre. Ma traduction ne reflète nullement l'élégance de son style (très pince-sans rire pour cette nouvelle).
    L'Histoire d'un virtuose est une fable dont la moralité est très difficile à trouver. Je ne la saisis toujours pas. Le manuel scolaire préfère d'autres œuvres plus faciles à comprendre, mais je pense que celle-ci est la meilleure.
    Comme la nouvelle est fondée sur une histoire chinoise, j'ai transcrit les noms de lieux et de personnages à la façon chinoise.



Histoire d'un virtuose (nouvelle de NAKAJIMA Atsushi) (1942)

    Un dénommé Jichang résidant à Handan, la capitale du Zhao, prit la décision de devenir le meilleur tireur d'arc du monde. Au bout de recherche d'une personne qui fût digne d'être son maître, il ne put imaginer qu'il y aurait un autre homme qui émulât le champion Feiwei pour le tir à l'arc présentement. On disait que c'était un virtuose qui ne manquait jamais à transpercer une feuille de saule pleureur à la distance de cent pas. Jichang fit un long voyage pour lui rendre la visite et frappa à sa porte.
    Feiwei ordonna à son nouveau disciple d'apprendre premièrement à ne pas cligner des yeux. Jichang rentra chez lui, se mit en dessous du métier à tisser de sa femme, et se coucha sur le dos. Son idée était de regarder fixement sans clignement les battements rapides de pieds sur les pédales, à fleur de ses yeux. Son épouse fut très surprise, ignorant la raison. Elle lui dit qu'il lui était déjà gênant que son attitude ridicule fût regardée par son mari de l'angle bizarre. Il gronda sa femme qui rechignait, et la força à continuer de tisser. Jour après jour, il multiplia l'exercice pour ne pas cligner dans cette position risible. C'est dans deux ans qu'il ne battit plus jamais ses paupières, même si les pédales qui bougeaient sans cesse frôlaient les cils. Il sortit enfin du dessous du métier. Il était déjà à tel point qu'il ne clignait plus même si une pointe aiguë de poinçon allait piquer ses yeux. Si des flammèches se jetèrent dans ses yeux à l'improviste, ou qu'une colonne de cendres apparût soudain devant lui, il ne clignota jamais. Ses paupières avaient déjà complètement oublié l'emploi de leurs muscles pour les fermer, et ses yeux restèrent très grands ouverts même quand il était dans le sommeil profond. Enfin, au moment où une petite araignée tissa une toile entre ses deux cils, il eut finalement confiance en soi, et annonça cette nouvelle à son maître Feiwei.
    Après l'avoir l'entendu, celui-ci lui dit : « Ce n'est pas suffisant pour t'enseigner le tir, seulement parce que tu ne clignes plus des yeux. Prochainement, apprends à regarder. Lorsque ta façon de regarder sera mûre, par laquelle tu vois le petit comme le grand, et que tu vois le minuscule comme l'énorme, tu pourras revenir me l'annoncer. »
    Jichang retourna chez lui à nouveau, trouva un pou d'un point de couture de son maillot, et le lia à son cheveu. Ainsi, il le pendit à la fenêtre donnant sur le sud, et il décida de passer le temps en le regardant toute la journée. Il contempla le pou pendu à la fenêtre tous les jours. Au début, ce n'était qu'un pou bien sûr. Il resta un pou dans deux ou trois jours. Mais après une dizaine de jours, il lui semblait que ses yeux le voyaient vaguement juste un petit peu plus grand, on ne sait si c'était à cause de son imagination. À la fin du troisième mois, le pou eut la taille d'un vers à soie sans nul doute à ses yeux. Le paysage derrière la fenêtre avec la bestiole pendue changea au fur et à mesure. Le jour du printemps qui brillait doucement se transforma en soleil d'été féroce sans qu'on s'en aperçût. À peine que les oies sauvages eurent traversé le haut du ciel transparent d'automne, déjà la neige fondue tomba de la voûte grise et glaçante. Jichang continua à regarder avec patience le petit insecte, phtiraptera, prurigineux, pendu au bout du cheveu. Déjà trois ans coulèrent à mesure que le pou était substitué des dizaines de fois. Un jour il s'aperçut soudain que ses yeux voyait la bestiole à la taille d'un cheval. Le mot « ça y est ! » s'échappa de sa bouche, et il sortit de la maison. Il ne pouvait croire à ses yeux. L'homme était une grande tour. Le cheval était une montagne. Le cochon ressemblait à une colline, et le coq un château. Jichang, transporté de joie, rentra chez lui, refit face au pou de la fenêtre, encocha une flèche de l'armoise du nord à l'arc fait de la corne du Yan et la tira ; la flèche transperça bien précisément le cœur du pou, et le cheveu qui le liait ne fut même pas coupé.
    Jichang se rendit chez son maître pour lui annoncer la nouvelle. Feiwei battit ses pieds et sa poitrine, et le complimenta pour la première fois en lui disant « Bravo ! ». Et il commença immédiatement à apprendre à Jichang tous les arcanes du tir à l'arc.
    Profitant des cinq ans passés pour l'exercice des yeux de base, la technique de Jichang fit des progrès étonnamment rapides.
    Au dixième jour après le début de la transmission de secrets, Jichang essaya de tirer sur les feuilles de saule pleureur à la distance de cent pas, et il ne manqua jamais à en transpercer une. Au vingtième jour, il tira avec un arc puissant, une coupe pleine d'eau sur son coude droit. Non seulement il n'y eut aucune déviation pour la cible, mais l'eau dans la coupe ne bougea point. Après un mois d'entraînement, il tenta un tir rapide avec cent flèches. La première atteignit le but, et la deuxième qui la suivit s'enfonça dans le fût de la première sans faille, et puis la pointe de la troisième pénétra aussitôt fermement dans la hampe de la deuxième. Flèche pour flèche, tir pour tir, comme le fer de la suivante s'enfonça toujours dans le fût de la précédente, les flèches ne tombèrent jamais par terre. En un moment, cent flèches s'enchaînèrent comme une seule flèche, et il sembla que le dernier fût qui continuât du but d'un trait droit touchât encore la corde. Même Feiwei, le maître qui le regardait à côté de lui se dit « Parfait ! » malgré lui.
    Deux mois après le début, Jichang, ayant querelle avec sa femme, voulut la menacer, encocha une flèche de Wuhao à l'arc de Qi et Wei, tendit la corde et tira sur ses yeux. La flèche coupa trois cils et s'envola au diable, mais la femme visée ne s'aperçut de rien, et continua à jurer contre lui sans cligner des yeux. Peut-être la vitesse de flèche et l'exactitude de visée par son art sublime atteignirent-elles ce niveau.



    N'ayant plus rien à apprendre de son maître, Jichang eut soudainement une mauvaise pensée un jour.
    Il réfléchit alors tout seul pour arriver à cette conclusion : « Maintenant il n'y a plus que mon maître Feiwei qui puisse être mon adversaire pour le tir à l'arc. Afin que je sois le premier virtuose du monde, il faut l'éliminer à tout prix. » Pendant qu'il cherchait l'occasion à son insu, il rencontra Feiwei qui approchait tout seul à pied du loin, par hasard dans le champ un jour. Aussitôt que  Jichang, déterminé sur-le-champ, visa en saisissant une flèche, Feiwei, sentant le danger non moins rapidement, répondit avec son arc. Les deux tiraient l'un sur l'autre, et les flèches se heurtèrent chaque fois à mi-chemin, et tombèrent par terre. C'est probablement parce que leurs arts étaient l'un et l'autre du registre divin, que les traits tombés ne provoquèrent pas la moindre poussière. Or, lorsque les flèches de Feiwei furent épuisées, il restait à Jichang encore une dernière. Dès qu'il l'eut tirée avec l'entrain triomphant, l'autre coupa la branche d'une rose sauvage d'à côté, et abattit fort la pointe avec le bout de l'épine. Un remords moral, qui n'aurait jamais vu le jour s'il avait réussi, jaillit soudain à ce moment dans le cœur de Jichang, qui comprit que son espérance désespérée ne se réalisât pas enfin. Quant à Feiwei, le soulagement pour avoir pu sortir du danger et l'amour-propre pour son propre art firent oublier complètement la haine pour son ennemi. Ils accoururent l'un à l'autre, s'embrassèrent dans le champ, et les belles larmes d'amour maître-disciple ne s'épuisèrent pas pendant un moment. (Il est hors propos de considérer cette affaire avec les mœurs d'aujourd'hui. Quand le seigneur Huangong du Qi, connu pour sa gastronomie, demanda à goûter une rareté qu'il n'avait jamais mangée, son chef cuisinier Yiya lui servit son propre fils cuit à la vapeur. Garçon à seize ans, le premier empereur du Qin, malmena la favorite de son père trois fois dans la nuit du décès de celui-ci. Toutes ces histoires datent d'une telle époque.)
    Même s'enlaçant l'un l'autre en larmes, Feiwei qui croyait que ce disciple était très susceptible de reprendre cette intrigue, pensa qu'il n'y avait pas mieux que de détourner sa pensée en lui donnant un nouveau but. Il dit à cet élève dangereux. « Je t'ai transmis tout ce que je pouvais t'apprendre. Si tu veux sublimer davantage les arcanes de cet art, va à l'ouest gravir la route escarpée des Taihang, jusqu'au sommet du mont Huoshan. Là doit se trouver le maître Ganying, le génie de cet art, tout exceptionnel dans ce bas monde. Par comparaison avec l'art de ce maître, nos tirs ressemblent au jeu d'enfants. Je crois qu'il n'y a plus que le maître Ganying à présent, que tu dois suivre comme ton maître. »



    Jichang partit à l'ouest immédiatement. Les mots de son maître qui disaient que leurs jeux à eux n'étaient pas mieux que ceux d'enfants pour cette personne mettaient son amour-propre en épreuve. Si c'était vrai, son désir d'être le meilleur du monde serait encore loin d'être réalisé. Dans la hâte de le rencontrer le plus tôt possible pour jouer contre lui et découvrir si son tir ressemblait à un jeu d'enfants, il se précipita sur la route. Il déchira les plantes des pieds, égratigna les jambes, gravit le rocher dangereux, traversa la route de planches, et arriva enfin au sommet destiné dans un mois.
    Celui qui accueillit Jichang excité avait des yeux aussi doux que le mouton, mais c'était un vieil homme tout sénile. Son âge devait dépasser non moins de cent ans. Il traînait sa barbe blanche sur terre en marchant, d'autant que son dos courbait.
    Jichang annonça la raison de son arrivée précipitamment à haute voix, de peur qu'il ne fût sourd. Dès qu'il lui eut demandé ce qu'il penserait du niveau de son art, tout pressé, il n'attendit plus sa réponse, il détacha soudainement l'arc puissant de saule entouré de chanvre de son dos et le prit à sa main. Et puis, il encocha une flèche de Shijie, et visa la volée d'oiseaux migrateurs qui passait en haut dans le ciel à propos. Réagissant à la corde, cinq grands oiseaux tombèrent en taillant le ciel d'azur immédiatement après un seul tir.
    Le vieil homme dit « Il paraît que tu as la base » en dessinant un léger sourire. « Mais ce n'est qu'un tir de tir au fond, je ne pense pas que tu connaisses déjà le tir de non-tir, mon enfant. »
    Précédant Jichang vexé, le vieil ermite l'amena sur la falaise escarpée qui était à environ deux cents pas de là. Sous leurs pieds était un abîme littéralement inabordable, qui était d'une telle hauteur qui ferait sentir le vertige si on se hasardait à jeter un seul œil à la rivière qu'on voyait comme un fil infiniment en bas. Le vieil homme courut aisément sur le rocher fragile qui saillissait presque dans l'air de la falaise, et dit à Jichang en se retournant. « Qu'est-ce que tu en dis  ? As-tu la bonté de me montrer ce que tu as fait tout à l'heure sur ce rocher ? » Jichang ne pouvait plus se reculer. Au moment où il mit son pied sur le rocher en relayant le vieil homme, la pierre trembla légèrement d'un coup. Quand il allait encocher la flèche avec tout son courage, un caillou tomba du bout de la falaise au même instant. Lorsqu'il suivait sa trace avec ses yeux, il s'accroupit sur le rocher malgré lui. Ses jambes tremblotaient, et la sueur coulait jusqu'aux chevilles. Le vieil homme lui tendit la main en riant et le fit descendre du rocher, sur lequel il monta à son tour, et lui dit « Bon, je vais te montrer ce que c'est que le tir. » Bien que le cœur battît et qu'il eût encore le visage pâle, Jichang remarqua tout de suite : « Mais qu'est-ce que vous faites de l'arc ? Où est votre arc ? » Le vieil homme n'avait rien dans ses mains. « Tu dis l'arc ? Tant que tu as besoin de l'arc, c'est le tir de tir. Quant au tir de non-tir, on n'a besoin ni de l'arc au vernis noir ni la flèche de Sushen. »
    Juste au-dessus d'eux, un milan dessinait un cercle à l'endroit extrêmement haut du ciel. Ganying qui regardait en haut l'image aussi petite qu'un grain de sésame, encocha bientôt une flèche invisible à son arc sans forme, tira la corde comme la pleine lune et lâcha prise. Regardez, le milan tombe sur le rocher du haut du ciel, même sans battre ses ailes.
    Jichang se pétrifia. Il sentit comme s'il avait entrevu pour la première fois l'abîme de cet art.
    Il resta chez ce vieux maître pendant neuf ans. Personne ne sait à quel genre d'exercices il se livrait pendant ce temps.
    Quand Jichang descendit de la montagne après ces neuf ans, les gens s'étonnèrent de ce que son visage se fût transformé. La mine brave et altière avait disparu sur le chemin, mais il avait maintenant la physionomie comme d'un pantin, voire d'un idiot, sans aucune expression. Et pourtant, quand il rendit la visite à son ancien maître Feiwei après une longue absence, celui-ci s'exclama à la seule vue de cette figure. « C'est bien la marque du premier virtuose du monde. Les tireurs comme nous n'arrivent jamais à ses chevilles. »
    La ville de Handang, accueillant Jichang de retour, désormais le virtuose du monde, brûla d'attente pour la séance de son art sublime qui devait s'offrir bientôt à leurs yeux.
    Mais Jichang ne voulut pas du tout répondre à cette sollicitation. Ce n'était pas tout, il ne voulut même jamais prendre l'arc à sa main. Il semblait qu'il ait même jeté quelque part l'arc de saule entouré de chanvre qu'il avait emporté quand il était parti dans la montagne. Jichang répondit en languissant à une personne qui lui demandait la raison : « Le faire suprême quitte le faire, le dire suprême quitte le dire, le tir suprême quitte le tir. » « En effet », les citoyens de Handang, très compréhensifs, approuvèrent tout de suite son point de vue. Le maître du tir à l'arc qui ne tirait jamais devint leur fierté. Plus longtemps Jichang ne touchait plus son arc, et plus sa notoriété d'un homme invincible fut hautement répandue.
    Diverses rumeurs se transmirent de bouche à oreille. Toutes les nuits, minuit passé, on entend le bruissement de la corde sur le toit, on ne sait de qui. On dit que l'esprit de la voie du tir à l'arc s'échappe pendant le sommeil du corps du héros qui l'héberge, et qu'il surveille la ville pour la défendre contre les démons. Un commerçant qui habite près de chez lui se met à affirmer qu'il a bien vu Jichang sur le nuage, qui avait son arc à sa main pour une fois, rivaliser avec deux anciens virtuoses Yi et Yang Youji. Et que chaque flèche que les trois maîtres ont tirée a disparu entre Orion et Canicule en traînant la queue lumineuse bleuâtre dans le ciel de nuit. Un brigand a avoué. Il a voulu s'insinuer dans la maison de Jichang, mais comme une rafale de vent meurtrier sortit de la maison silencieuse dès qu'il eut mit son pied sur le mur et frappa le front, il est tombé à l'extérieur malgré lui. Dorénavant, les gens de mauvaise foi firent le détour, n'approchant pas à un kilomètre de sa maison, et les oiseaux migrateurs intelligents ne passèrent plus au-dessus de son habitation.
    Le virtuose Jichang vieillit au fur et à mesure tout au milieu des vagues de réputation. Il paraissait que son cœur qui avait quitté le tir déjà il y a longtemps, pénétrait de plus en plus dans l'univers tranquille et vide. Le visage comme un pantin perdit encore des expressions, il fut rare qu'il parlât, et on douta enfin l'existence de sa respiration. Le vieux virtuose raconta vers la fin de sa vie : « Je ne sais plus la différence entre Lui et Moi, entre Oui et Non. Il me semble que les yeux sont les oreilles, les oreilles sont le nez, et que le nez est la bouche. »
    Quarante ans après avoir quitté le maître Ganying, Jichang disparut sans bruit, vraiment comme une fumée. Il n'a jamais parlé du tir pendant ces quarante ans. Vu qu'il n'en a jamais parlé, il ne pouvait y avoir d'activités avec arc et flèche. Il est naturel que, comme un fabuliste, j'aimerais bien voir le vieux virtuose faire les prouesses pour bien finir l'histoire, et révéler la raison pour laquelle ce virtuose était bien l'authentique, mais d'autre part, je ne peux non plus jamais fausser les faits enregistrés dans les archives. En réalité, on ne raconte que le fait que Jichang vieilli était bien dans le désœuvrement, à part une seule et unique anecdote étrange comme suit.
    Il semble que cette anecdote raconte l'événement qui s'est passé un ou deux ans avant sa mort. Vieux Jichang répondit à l'invitation d'une connaissance un jour, et il vit un outil dans la maison. C'était bien un instrument qu'il avait déjà vu, mais il n'arriva pas à se souvenir du nom, ni de l'emploi, quoi qu'il fît. Le vieil homme demanda à l'hôte. « Quel est le nom de cette chose, et pour quel but l'utilise-t-on ? » L'hôte crut simplement que l'invité plaisantait, et sourit d'une façon malicieuse. Vieux Jichang l'interroge de nouveau au visage sérieux. Mais l'autre avait un sourire ambigu, et il paraissait intrigué de ce que l'invité avait dans sa tête. Au moment où Jichang répéta la même question pour la troisième fois à la tête sérieuse, la teinte de surprise apparut au visage de l'hôte pour la première fois. Il scruta les yeux de l'invité. Il constata qu'il ne plaisantait pas, qu'il ne délirait pas, ni qu'il n'avait pas mal entendu, il montra un effroi tout près d'une peur, et cria en bégayant.
    « Ah ! Mon maître ! Vous qui êtes le virtuose incomparable de tous les temps, avez-vous oublié l'arc ? Ah ! Même son nom et son emploi ! »
    Pendant un long temps après cet épisode, on dit que les peintres cachaient les pinceaux, les musiciens coupaient les cordes des instruments, et que les architectes avaient honte de toucher les règles dans la ville de Handang.

Traduit du japonais par FUKUI Hisashi. Je suis désolé de la traduction hâtive comme d'habitude (je l'ai finie en deux jours) et de l'absence de notes. :-(

jeudi 6 novembre 2008

 C'est un livre publié en 1939. Ceux qui savent lire le japonais s'aperçoivent qu'on écrivait de droite de gauche à l'époque. En réalité, ce n'était pas l'écriture horizontale à droite à gauche, mais une écriture verticale avec un seul caractère à la ligne (colonne). 佛蘭西 est la France en caractères chinois. Shinchôsha (新潮社) reste une des maisons les plus importantes au Japon.

 Les romanciers recueillis ici sont Anatole France, Charles-Louis Philippe, Henri Barbusse et André Gide. Le choix montre bien l'air du temps.
Voici la table (à droite) et la première page.
 Les oeuvres sélectionnées sont Thaïs et L'Affaire Crainquebille d'Anatole France, Bubu de Montparnasse de Charles-Louis Philippe, L'Enfer d'Henri Barbusse, La Porte étroite d'André Gide.
 Hors le cadre de la table, vous pouvez voir un katakana que les Japonais n'utilisent plus. C'est le ワ (wa) avec deux points sur l'épaule droite: ワ゛. Vous pouvez lire un mot カワ゛ー qui est une transcription du mot anglais cover. C'était une tentative, en vain, pour transcrire la consonne v qui n'existait pas dans la langue japonaise. Maintenant le mot est écrit カバー en général (plus rarement カヴァー).

samedi 1 novembre 2008

Consternation totale

 Le chef des "Forces d'autodéfense" (jargon voulant dire l'armée, qui n'existe pas au Japon selon la constitution japonaise) de l'air, TAMOGAMI Toshio a été limogé pour avoir écrit un essai révisionniste.
 Voici le résumé de son écrit.
Le Japon a-t-il envahi l'Asie?

 Le Japon n'a jamais envoyé l'armée de sa propre volonté ni à la péninsule coréenne ni au continent chinois. Il a obtenu les pouvoirs en Chine de façon légitime suivant les lois internationales d'après les guerres contre la Chine et la Russie,  et il y a placé l'armée pour les garder.
 Notre pays a été victime de Tchang Kaï-Chek (Jiang Jieshi), entraîné à la guerre par lui.
 Les efforts de l'armée et du gouvernement japonais ont libéré les indigènes de la tyrannie, et ont beaucoup amélioré leur niveau de vie.
 Après la Grande Guerre de l'Asie de l'Est (NdT: l'appellation "nationaliste" de la Seconde Guerre mondiale), nombre de pays d'Asie ont été libérés de l'occupation des pays "blancs" (NdT: occidentaux), grâce aux efforts du Japon qui a combattu à la guerre russo-nippone et la Grande Guerre de l'Asie de l'Est.
 Le procès de Tokyo a voulu imposer toutes les responsabilités de guerre au Japon. Cette manipulation mentale confond les Japonais. Les Forces d'autodéfense ne peuvent même pas exercer le droit d'autodéfense collective (NdT: sophisme pour permettre aux Forces d'autodéfense l'intervention à l'étranger), elles ont beaucoup de restrictions concernant l'utilisation des armes, et il est interdit qu'elles possèdent des armes d'attaque. Elles ne peuvent pas bouger à cause de trop de restrictions. A moins que nous n'étions dégagés de cette manipulation mentale, nous ne pourrons jamais parfaire le système pour défendre notre pays de notre propre force.
 Il faut reconnaître que beaucoup de pays asiatiques estiment la Grande Guerre de l'Asie de l'Est d'une façon positive. C'est une fausse accusation que notre pays ait envahi l'Asie.
 Ce crétin de Tamogami a un antécédent. Au mois d'avril, la Cour supérieure de Nagoya a prononcé que les activités des Forces d'autodéfense en Irak étaient en infraction de l'article 9 de la constitution qui rejetait la guerre. Tamogami a dit: "Si je représente l'avis de tous les soldats qui sont en Irak, je dirai "Ca ne me regarde pas!"" C'était une référence à un comique (ah non, c'est pas les Inconnus, il ne les connaît pas...). J'étais vraiment intrigué de ce qu'il n'y avait aucun tapage après ce propos, mais cette fois-ci, le ministre de la défense était prompt à la réaction.
 Cet essai de Tamogami a participé au concours "La Vraie Histoire moderne", et il a eu le grand prix (!). C'est pour cela que le scandale a éclaté. Mais qui a organisé ce concours qui donnait le grand prix à cet écrit révisionniste? C'est un groupe d'hôtellerie, très proche de l'ancien premier ministre Abé...
 Je suis vraiment ennuyé par l'indulgence de mes compatriotes envers le révisionnisme. Tout le monde dit: "On a la liberté d'expression, mais il n'est pas à la place pour pouvoir publier cette sorte d'opinion, vu que c'est un chef des Forces d'autodéfense." Mais franchement, même un prof de collège ne doit pas prononcer un tel avis révisionniste. Mais mes compatriotes tolèrent bien la liberté d'opinion des révisionnistes, à moins qu'ils ne soient de hauts fonctionnaires.

mercredi 29 octobre 2008

Livres anciens retrouvés au grenier

 Nansô Satomi Hakkenden (Histoire de huit chiens de Nansô Satomi) est un roman-fleuve premièrement publié au début du dix-huitième siècle. C'est bien LE best-seller de l'ère Edo. Le sujet de ce roman fantastique est la fidélité confucianiste, tendance très 'manichéenne'.
 On est à l'époque de la guerre civile au 16e siècle. Le seigneur de Satomi promet qu'il donnera sa fille à l'homme qui apporte la tête du chef ennemi, même à son chien en plaisantant. Mais ce symbole de la fidélité achève de battre son ennemi juré. Satomi ne veut pas donner sa fille au chien naturellement, mais la princesse elle-même critique son père en disant qu'il faut respecte la promesse même avec le chien, et fuit dans la montagne avec cet animal. De ce lien naissent huit enfants mâles, qui sont héros de cette longue aventure. Ils représentent huit vertus confucianistes.
 Ce roman de Takizawa (ou Kyokutei) Bakin est sous l'influence forte du roman chinois Au bord de l'eau (Shi Naian). Les exemplaires que ma famille garde datent de 1893.
 Je ne sais si la préface est en japonais ou en chinois.
 Je pense que cette préface en chinois (ou peut-être en pseudo chinois avec la syntaxe japonaise) est là pour donner la crédibilité à l'écrit en langue vulgaire, c'est-à-dire en japonais.
 Voici la première page du roman en huit tomes.
 La réforme après la Deuxième Guerre mondiale a transformé l'écriture japonaise. Vous pouvez constater qu'il y a pas mal de kanji qu'on n'utilise plus. Mais ce document montre l'état à la fin du 19e siècle où même les hiragana n'étaient pas encore modernisés. Il y avait plusieurs hiragana pour désigner la même syllabe à l'époque.
 Le caractère encerclé de rouge, qui ressemble à よ (yo), est un hiragana dont la prononciation est ni. L'autre caractère (bleu), qui fait penser à い [i], est en réalité ha. Sôséki écrivait en utilisant ces hiragana anciens. Tous les Japonais contemporains ne savent pas que les hiragana n'étaient pas toujours identiques.

dimanche 26 octobre 2008

Savoir vivre au Japon selon RTL

 Je suis retourné à mon pays natal il y a quatorze mois. Au début, j'ai lu beaucoup de livres japonais, qui m'avaient beaucoup manqué. Mais après cette période, je suis plutôt hanté de la peur d'oublier le français (car, moi, j'ai peur de tout), je commence à écouter beaucoup le podcast français, même d'émissions que je n'écoutais pas en France, même les Grosses Têtes :-p Je me suis endormi en l'écoutant hier ;-p
 Dans l'émission de Jean-Pierre Foucault et Cyril Hanouna (La Bonne Touche), j'ai entendu ce quiz.
 Qu'est-ce qui peut être mal pris par un Japonais de la part d'un étranger?
 Les trois propositions étaient suivantes.
1. Lui dire qu'on peut le battre aisément au match de ping pong.
2. Faire l'amalgame entre les Chinois et les Coréens.
3. Ne pas situer le Mont Fujiyama.
 La bonne réponse était la deux. (Cyril Hanouna a bien remarqué que cette question faisait déjà l'amalgame, car le ping pong est plutôt une spécialité des Chinois. Et le sport de ma ville Aomori est le curling :-p Je ne plaisante pas, les stars d'Aomori sont des curlingueuses mdr)
 Ce qui me gêne est que ce quiz était intitulé "Tour du monde de savoir vivre". Franchement, respecter les Japonais de ce genre n'est pas un savoir vivre, mais plutôt une hypocrisie de la part des Français. A mon avis, si ces Japonais n'aiment pas cet amalgame, c'est à cause du slogan national de l'ère Meiji, formulé par le penseur FUKUZAWA Yukichi (1835-1901): "Sortir de l'Asie, entrer en Europe". A ses yeux, toute l'Asie était dans la servitude, et l'Europe était formée des pays indépendants. Donc, ce qu'il voulait dire était d'abord la résolution ferme pour garder l'indépendance: Il faut moderniser, voir européaniser radicalement tout le régime politique, pour garder l'indépendance du Japon tout en restant en Asie géographiquement. Je crois qu'il était clairvoyant sur ce point. Mais sa philosophie authentique s'est vite évaporée. Ce slogan sera plutôt compris par le biais du complexe envers l'Occident, depuis le début du 20e siècle. Des Japonais, se prenant pour Européens par une quelconque schizophrénie collective, se sentent supérieurs aux autres peuples asiatiques.
 Je ne dirais pas que ces Japonais qui montrent une gêne à un étranger qui fait l'amalgame entre les Chinois et les Coréens sont racistes (pourtant j'aimerais bien l'affirmer). En tout cas, respecter cette attitude raciale ne peut être un savoir vivre recommandé, à moins que vous ne vouliez que la relation superficielle avec les Japonais. En tant que Français venus du pays des Lumières mdr, vous devez nous éclairer, nous qui sommes toujours dans les ténèbres des préjugés raciaux! lol Bien sûr qu'il n'est pas louable de faire l'amalgame, mais ce n'est pas un bon savoir vivre de ne pas choquer les gens à l'idéologie ambiguë. (Je le dis aux Français qui respectent trop les Japonais, susceptibles à fond. Moi, je suis 100% japonais, et je suis prêt à expliquer l'amalgame, sans montrer la gêne. Personnellement, je suis rarement perplexé par un Français qui n'avait jamais parlé avec un Japonais. Ceux qui me gênent sont les Français qui connaissent les Japonais, dans la tête desquels sont souvent incrustées les idées fixes envers eux: "Vous les Japonais, vous êtes comme ça." Mais j'accepte bien les plaisanteries. :-D)
 Au fait, si je parle aux Français dans ce blog, ce n'est qu'une formalité. Je suis content de ce qu'il y ait des lecteurs du monde entier :-D

lundi 20 octobre 2008

Pouapoua au style du roman de confession (poème de SUZUKI Shirôyasu)

 Ce poème peut heurter la sensibilité des lecteurs non avertis ;-p
 C’est un poème avec les notes. Les notes originales sont au chiffre arabe, et les notes du traducteur sont au chiffre romain.

Pouapoua au style du roman de confession (i)

Une jeune fille de quinze ans est Pouapoua.
Nymphes au rose pur.
Lorsque je me sentais prêt à pénétrer dans la grande cathédrale où s’envolait l’espoir,
Regardez, il y a une fille superbe devant Kumahei, le magasin des pompes [1] (ii).
Tiens, c’était vous, Madame ?
Pour les rapports entre Pouapoua, son père et moi,
Des cailloux étaient tombés quand je marchais dans la rue en jouant deux personnages.
Ce sont des ennemis.
Le journal de ce matin disait qu’il n’y aurait pas de paix si on ne massacrait pas tous les ennemis.
Ça, c’est la vérité du Vietnam.
Cinq photos.
C’est le destin historique.
Cinq photos.
La luette se pique.
À force de dire une telle chose, cela obtiendra des effets de réaction.
Passe par la sortie de secours du bus Hiroden [2].
C’est un art poétique qui purifie le sang.
Ce sont les nymphes au rose pur.
Une autre Pouapoua vient vers moi.
Encore une autre Pouapoua vient vers moi.
Enfin Pouapoua vient vers moi.
Je suis enveloppé des aurores boréales.
J’éjacule rose pur.
Pouapoua, ne t’en va pas, mon ange.
Pourtant, le professeur m’amena au British Museum en saisissant mon bras [3].
Une Japonaise rousse se trouve à ce coin, on voit ses deux cuisses derrière sa robe transparente.
C’est une pucelle.
Non, elle n’est pas pucelle.
Alors, on va parier.
Je n’aime pas particulièrement les vierges, mais je ne les déteste pas non plus. [4]
Pouapoua qui s’en va a peur de son père, tu sais.
C’est un pénis.
On dit que le papa a frappé et que le piano lui a coûté 180.000 yens.
Et cependant, la pucelle a été violée par son père, enveloppé par la langue d’une non vierge, c’est un dimanche de travail d’un pénis enveloppé de bacon.
Tiens, c’était vous, Madame ?
Vous ne trouvez pas que le trou dans le mur est grand ?
(M’avez-vous vu me masturber ?)
Monsieur Fin Tang Fat (iii) a dit que les Etats-Unis étaient lâches [5].
Ça nous touche, n’est-ce pas ?
Réunissez-vous donc, photographes de tout le pays !
Maintenant, prenez la photo de Sa Majesté Impériale et la princesse Michiko
De tous les angles et de toutes les dates possibles [6] (iv).
Le petit saillant au rose pur qui sera exposé ainsi.
Je me promenais avec Pouapoua,
Mais je l’ai rencontrée.
Tiens, c’était vous, Madame ?
Ce sont les nymphes blanchis.
Coq, cascade, une cascade immense qui s’envole en battant ses ailes [7].
Les habitants d’Hiroshima qui n’ont cessé de vivre durant non moins de vingt ans.
Moi qui veux quitter Hiroshima pour Tokyo le plus tôt possible (v).
Je suis gênée, moi, car, tu sais, tiens,
C’est le début des grandes soldes de pantalons au magasin de vêtements [8].
Lorsque je marchais dans la rue en haut en grande hâte presque en me précipitant,
Pouapoua au rose pur de quinze ans vient vers moi en courant.
J’ai bandé soudain et

[1] Le 3 juillet 1965, j’ai vu que l’indication « Rue de l’Amour » qui était marquée il y a deux ans sur le mur de sécurité de la promenade au carrefour de Tôkamachi dans la ville d’Hiroshima avait changé en « Kumahei, le magasin des pompes ».
[2] Le bus qui circule dans la ville d’Hiroshima. Autrement appelé le bus bleu.
[3] De Monsieur le Voleur, téléfilm étranger diffusé à vingt heures le 3 juillet à Hiroshima Television.
[4] D’une lettre privée de Monsieur TODA Keita, datée du 24 juin.
[5] Le journal Maïnichi Shinbun a inséré l’interview du vice-président du Vietcong par Monsieur OKAMURA Akihiko, le 3 juillet.
[6] J’ai travaillé sur l’exposition de l’empereur « Crabes de la baie de Sagami » à Maruzen Hiroshima (vi) le 3 juillet.
[7] A force de m’ennuyer en regardant Voyage attendant les fiançailles, téléfilm diffusé à 19 heures 30 à NHK Television le 3 juillet.
[8] J’ai acheté un pantalon de 550 yens à ces soldes.

Poème de SUZUKI Shirôyasu, poète né en 1935.

(i) Shishôsétsu (roman de confession) est un genre particulier à la littérature japonaise du vingtième siècle. C’est un genre bâtard né sous l’influence d’Emile Zola, importé par SHIMAZAKI Tôson. Tôson est le romancier le plus influent de la première moitié du vingtième siècle, curieusement négligé par les traducteurs français, ainsi que SHIGA Naoya, le maître du genre shishôsétsu. Si Zola voulait analyser la physiologie de la société, Shiga et ses épigones se contentaient de décrire leur vie intérieure. C’était bien le premier courant des romans japonais de la première moitié du siècle précédent. Même si le temps a changé dorénavant, ce genre était encore le modèle à suivre pour beaucoup de romanciers japonais jusqu’aux années 1970. Et maintenant, les gens soi-disant de bon goût littéraire se moquent du shishôsétsu sans le lire. Quelle injustice dans tout cela ! (On a probablement le droit d'imaginer que Suzuki était fâché de l'hypocrisie de ces romanciers qui ne faisaient que des confessions mille fois plus pudiques que Jean-Jacques Rousseau.)
(ii) Suzuki écrivait des poèmes pleins d’anacoluthes (ruptures de continuité. Ce mot n’est même pas trop intéressant pour le Scrabble ;-p).
(iii) Je ne suis pas sûr de l’orthographe.
(iv) Jusqu’en 1945, l’empereur n’avait officiellement pas d’image. La princesse Michiko est l’impératrice actuelle du Japon. Elle était idolâtrée comme une star à l’époque.
(v) Suzuki Shirôyasu est un homme de Tokyo qui travaillait à NHK Hiroshima.
(vi) Maruzen est une des librairies les plus connues du Japon. L’empereur appelé Hirohito était océanologue. (Les communistes japonais aiment appeler l’empereur par son nom de naissance. C’est très marrant que les Français adoptent les manières rouges. C’est bien français.)

 La série de poèmes sur la jeune fille Pouapoua, prostituée vierge éternelle, qui a étonné les amateurs de la poésie par sa vulgarité qui n’avait rien de poétique à leurs yeux, a été publiée dans le recueil de poèmes Concubinage en canette ou Fuite vers le piège (1967). Le titre est fondé sur un jeu de mots gratuit avec les homonymes kansei (en canette et piège). (Je n’y avais jamais pensé, mais je viens de me rendre compte que le mot kansei veut dire perfection également. Un double sens éventuel pourrait être la fuite vers une perfection.) Suzuki lui-même explique que la jeune fille Pouapoua, la prostituée vierge avec son hymen renaissant, est la métaphore de la poésie.
 Peut-être ses poèmes de l’époque ont-ils mal vieilli, mais ils restent un témoignage curieux du Japon des années 1960 qui se voulait subversif. Je crois que cette distanciation froide et ironique des Japonais obsédés sexuels, qu’on est obligé de qualifier de « poétique » malgré tout, garde toujours un certain charme.

jeudi 16 octobre 2008

Effet papillon?

 Les Japonais ont un proverbe qui dit "Si le vent souffle, les tonneliers prospèrent", pour se moquer du raisonnement tiré par les cheveux.
  1. Si le vent souffle, le sable se lève.
  2. Le sable entre dans les yeux, et le nombre des aveugles augmente.
  3. Comme les aveugles jouent du shamisen, on doit augmenter la fabrication de cet instrument de musique.
  4. A propos, la peau de chat est utilisée pour faire le shamisen.
  5. Donc, on doit massacrer les chats pour fabriquer ces instruments qui correspondent au nombre des nouveaux aveugles.
  6. Comme il n'y a plus de chats, les rats rongent les tonneaux.
  7. Par conséquent, si le vent souffle, les tonneliers prospèrent.
 L'animal qui entre dans la fabrication peut être différent selon la région. A Okinawa dans le sud du Japon, on utilise le serpent, mais chez moi à Aomori, c'est la peau de chien!!! (Je l'ai appris assez récemment.)