lundi 1 décembre 2008

Opération favoritisme

 On rencontre souvent la fétichisation des mots en japonais. Elle est complètement intraduisible et incompréhensible pour les non Japonais. Par exemple, on peut entendre ce genre de dialogue entre un enfant et un adulte.
大きくなったら何になりたい? Qu'est-ce que tu veux faire quand tu seras grand?
パティシエになりたい! Je veux être pâtissier!
お菓子屋さんになりたいんだ。Tu veux être pâtissier (okashiya), c'est ça?
ちがう、お菓子屋さんじゃなくて、パティシエ! Mais non, je veux être pâtissier, mais pas pâtissier (okashiya)!
 Quand le philosophe Kripke réfléchissait sur la question des noms propres, il parlait d'un Français dont le rêve était d'habiter à Londres. Il a réussi à vivre à Londres, mais il ne s'en rend pas compte, car la ville qu'il habite maintenant s'appelle London en fait. Ainsi, a-t-il voulu controverser la thèse de Bertrand Russel qui disait que les noms propres étaient définissables ("Aristote est l'homme qui a écrit L'Ethique de Nicomaque").
 Au Japon, celui qui mange du nata de coco ne se rend pas compte que ce qu'il consomme est un coconut, et il arrive qu'il doit se contenter de prendre du café au lait quand il veut boire le caffè latte. Tous les Japonais vivent tous les jours la question kripkéenne.
 Il faut tenir compte de ce fait pour comprendre l'affaire Tamogami. Il paraît que ce capitaine de l'armée de l'air n'aime pas que le Japon soit appelé un "pays envahisseur"(侵略国家, shinryaku kokka). Il prétend qu'il est inadmissible que seul le Japon soit qualifié de pays envahisseur, tandis qu'il n'y a aucun autre pays qui soit appelé ainsi. Le problème est tout simple, mais assez difficile à se rendre compte: Dans la tête de Tamogami, le mot shinryaku kokka est fétichisé. Finalement, ce n'est qu'une question de terminologie jargonisée qui manque complètement de souplesse d'interprétation. Pour Tamogami, si on accusait l'allemagne nazie de tous les crimes de la guerre, et que les pays européens se repentissent de l'impérialisme et du colonialisme, ce n'est pas son problème, à moins qu'ils ne soient qualifiés précisément de shinryaku kokka en japonais. "Il n'y a que le Japon qui soit appelé comme ça, et c'est injuste", cette parole est bien incrustée dans sa tête, et sa logique est inébranlable à jamais. Il suffirait donc que quelqu'un appelle les pays européens "shinryaku kokka" devant lui pour qu'il change d'avis! Il faut qu'il sache tout simplement que London est un autre nom pour Londres, et le pâtissier est okashiya en japonais. Paradoxalement, c'est lui qui dit que les autre grands pays n'ont jamais été envahisseurs, et il ne le sait pas lui-même, car tout simplement, il n'a jamais entendu le mot shinryaku kokka pour qualifier ces pays.

 Et ce Tamogami a parlé de la grande opération favoritisme (えこひいき大作戦) dans un autre article qu'il a publié dans une revue. L'expression est stupide et fâcheuse. Il paraît qu'il victimise les agents des Forces d'autodéfense (autrement dit, les soldats de l'armée japonaise) qui vivent une difficulté après la Deuxième Guerre mondiale dans ce pays pacifiste. Et il prétend que les soldats ont le droit au favoritisme pour équlibrer la situation défavorable pour l'armée.
 Voici un exemple de l'opération favoritisme. Le patron d'une chaîne d'hôtellerie, sympathisant de la thèse révisionniste de Tamogami, a eu droit à monter dans un avion chasseur, bien qu'aucune personne privée n'en ait le droit. Et un très curieux hasard veut que ce patron organise le concours des essais où Tamogami a obtenu le premier prix avec son fameux écrit. Les autres membres du jury ont tous voté sans connaître les candidats, mais l'organisateur du concours, qui était à la place de savoir les noms des auteurs, a donné le plus de points à son ami. Et personne dans le jury ne savait même pas que le vote de l'organisateur était compté. Comme cela, l'opération favoritisme est réciproque.
 Maintenant on sait que quelqu'un comme Tamogami qui n'a aucune honte à faire parade de cet acte injuste de favoriser ses amis avec les moyens publics de l'armée était au siège du chef de l'armée de l'air. Et les Japonais s'en foutent complètement, et même aujourd'hui il récidive ses âneries, et la télé est tout contente d'en parler sans montrer aucune attitude critique envers lui. Ce que le monde est beau.

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