dimanche 27 avril 2008

Smoke on the water au shamisen





Cette interprétation a été diffusée il y a tout juste un an dans une émission de dimanche matin "Concert sans titre", qui dure depuis 1964. Le clip est uploadé au mois de janvier 2008.
Le style s'appelle Tokiwadzu, un genre du jôruri, conte chanté. L'histoire du jôruri est parfois illustrée par les marionettes. (Le film Dolls de Kitano Takéshi est inspirée du jôruri aux marionettes, autrement appelé bunraku.)
Le titre de la chanson est changé en "Ô-Édo-no hikéshi", Sapeurs du grand Édo. Cela parle d'un incendie sur le lac Biwa, le plus grand lac au Japon. Les sapeurs d'Édo qui passaient au lac Biwa comme des touristes en vacances éteignent le feu. Comme il s'agit d'une parodie, la parole ne veut pas dire grand'chose.

We Will Rock You





Un peu moins bien que Smoke on the Water, mais bon. L'intérêt principal de cette interprétation est qu'ils ont inséré un passage du jôruri, Masakado (c'est le titre), le rebelle du 10e siècle qui s'est autoproclamé le nouvel empereur. En effet, c'est un personnage assez rock'n'roll dans l'histoire du Japon. Je n'ai pas pu trouver Jailhouse Rock, qui a été joué dans la même émission.

samedi 26 avril 2008

Quand j'étais la plus belle (poème d'IBARAGI Noriko)

Quand j'étais la plus belle
IBARAGI Noriko

Quand j'étais la plus belle,
Les villes s'écroulaient à grand bruit,
Il arrivait qu'on voyait le ciel
D'un côté saugrenu.

Quand j'étais la plus belle,
Beaucoup moururent dans mon entourage.
Je perdis l'occasion de me maquiller
A l'usine, à la mer, à l'île sans nom.

Quand j'étais la plus belle,
Personne ne m'offrit de cadeaux tendres.
Les garçons ne connaissaient que le salut militaire,
Et ils partirent tous en ne laissant que le beau regard.

Quand j'étais la plus belle,
Ma tête était vide,
Mon coeur était endurci,
Seuls mes membres brillaient marrons.

Quand j'étais la plus belle,
Mon pays perdit la guerre.
Qu'est-ce que cette connerie?
Je marchai fièrement dans la ville humiliée en relevant les manches de ma chemise.

Quand j'étais la plus belle,
Le jazz déferlait de la radio.
Dans un vertige comme si j'arrêtais de fumer,
Je dévorai la douce musique étrangère.

Quand j'étais la plus belle,
J'étais très malheureuse,
J'étais très confuse,
J'étais trop solitaire.

Donc j'ai décidé. De vivre le plus longtemps possible.
J'ai peint de très jolies peintures dans ma maturité.
Comme le Français Papy Rouault.
N'est-ce pas?

mardi 22 avril 2008

Encore un grand pas en arrière

Aujourd'hui, la justice japonaise a marqué un autre grand pas en arrière.
Un garçon a tué une femme et son petit bébé il y a 9 ans à Hikari, une petite ville dans l'ouest du Japon. Il avait à peine 18 ans à l'époque. Les deux premiers jugements étaient la perpétuité, mais la cour suprême a demandé la révision à la cour d'appel d'Hiroshima. Le juge a prononcé la peine capitale pour ce garçon.
Il y a plusieurs problèmes dans cette affaire.
  1. La justice japonaise a les critères pour la peine de mort, généralement respectés. Cette affaire ne leur correspond pas sur l'âge du criminel et le nombre des victimes. La majorité est à 20 ans au Japon. Le média ne peut pas publier le nom de ce garçon pour cette raison. L'année dernière, on a prononcé la peine capitale à un homme qui avait tué une seule personne, ce qui était vraiment exceptionnel. Peine de mort pour le garçon qui a tué deux victimes, cela reste exceptionnel dans le contexte de la justice japonaise.
  2. Le mari de la femme tuée est beaucoup médiatisé. Il paraît qu'on le prouve émouvant. Le jugement d'aujourd'hui semble être "populiste" qui aime flatter le peuple dans une époque virtuellement interactive.
  3. Le système du jury est suspendu depuis 1943, mais on le reprendra dès l'année prochaine. On lui dotera même le pouvoir de l'estimation des peines. J'attendais à ce procès une sorte de frein en attendant la reprise du système du jury qui m'inquiète beaucoup. Mais le juge a voulu en montrant cet exemple que les gens suivent le chemin de l'empathie pour la famille des victimes, plutôt que de garder la conscience exigée aux magistrats.
  4. La cour suprême, qui avait rejeté les deux premiers jugements, n'a pas voulu reprendre en main cette affaire beaucoup médiatisée. C'est pour cela qu'elle a demandé la révision à la cour d'appel.
Ce qui m'inquiète le plus est que nos compatriotes ont oublié la vertu de la tolérance. Ils sont brûlés par le feu de vengeance et de haine. Ils refusent de comprendre que leur haine, c'est leur propre problème. Pourquoi doivent-ils la projeter sur ces criminels? Certaines statistiques disent que 80 pour cent des Japonais soutiennent le maintien de la peine de mort. Il est temps que les magistrats arrêtent de vouloir plaire au peuple, mais ce qu'ils font est exactement le contraire de ce qu'ils doivent faire.

P.S. Ce qui a profondément choqué le peuple dans cette affaire est la nécrophilie. La défense prétendait que c'était une cérémonie pour ressusciter la femme. Le juge a rejeté cette hypothèse en disant qu'elle serait irrationnelle et absurde. Mais euh... Je ne sais quoi dire. Enfin, si cette cérémonie est irrationnelle et absurde sans aucun doute, la défense ne l'est pas, non?

P.P.S. Le mari de la femme tuée a dit quelque chose de britneyesque: "Je veux que ce garçon regrette ce qu'il a fait en dépassant sa propre mort." Apparemment, ça ne fait rire que moi au Japon.

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samedi 19 avril 2008

Le régime "Seconde Vieillesse"

Les Japonais ont prouvé encore une fois qu'ils étaient plus forts que les Français. Ceux-ci ne parlent encore que du régime de retraite, mais ceux-là parlent déjà de la Seconde Vieillesse, le régime de sécurité sociale de pointe. "Seconde vieillesse", c'est bien le mot employé: donc, ces personnes âgées ne sont attendues que par la mort après cette période. Le régime est en vigueur depuis le poisson d'avril. Quel sens d'humour! Normalement, l'humour japonais est gentillet et niais, mais cette fois-ci, ils ont prouvé que leur sens d'humour noir était particulièrement développé! Le premier ministre Fukuda a voulu le renommer en "le régime de longue vie", mais c'était trop tard, toutes les cartes de sécu étaient déjà imprimées et envoyées.
Ce n'est pas seulement l'appellation qui est scandaleuse. Les personnes âgées de plus de 75 ans méritent ce nom glorieux de la "Seconde Vieillesse". Leurs frais médicaux avaient été généralement gratuits auparavant. Depuis quelques années, ils payent à peu près 10 pour cent des frais médicaux. Et maintenant, on encaisse automatiquement une certaine somme de leur pension pour la sécurité sociale. Le ministre de la santé explique que c'est pour alléger le coût administratif, et que les personnes âgées elles-mêmes n'ont plus besoin de se déplacer pour payer. Soit. Mais alors enfin, ces vieux doivent-ils payer plus ou moins d'argent qu'avant le changement du régime? Le ministre Masuzoé (francophile et francophone) aurait répondu à cette question: Environ 70 pour cent des personnes appartenant à cette catégorie payeront moins qu'avant. Il peut arriver que ceux qui ont une pension relativement importante doivent donner plus qu'auparavant. 70 pour cent? Est-ce suffisant pour changer le régime? Mais bon, du moins est-ce plus que la moitié :-(
Mais depuis quelques jours, on entend le cri des personnes âgées qui ne sont pas du tout riches. Le premier encaissement a eu lieu le 15 avril. Et qu'est-ce qu'on découvre? Apparemment, on leur retire beaucoup plus d'argent qu'avant. Qu'est-ce qui se passe ici? Donc, on a demandé à monsieur Masuzoé le fondement du calcul pour le poucentage avancé. Alors il a répondu: Euh... on a jamais fait d'estimation... J'ai cru que ce serait à peu près de 70 pour cent...
On dit qu'on a effectué ce changement de régime pour une part pour réduire les frais médicaux des personnes âgées hospitalisées. En un mot, ils ne faut plus donner de soins à ces végétaux. S'il faut payer plus, ces familles renonceront à prolonger inutilement la vie de leurs intimes. C'est leur logique. Logique des fonctionnaires, particulièrement cynique.
Une question s'impose. Ces personnes âgées, qui ne font que voter le Parti Libéral-Démocrate depuis une éternité, vont-ils faire la même chose aux prochaines élections (à part les végétaux, bien sûr)? Veulent-ils prouver qu'ils sont complètement idiots, en allant voter pour leurs bourreaux? Le pire est que ces bourreaux ne sont même pas méchants. Ils sont irresponsables, c'est tout... Il est temps que les personnes âgées comprennent enfin que c'est leur fidélité aveugle qui est la gage de l'irresponsabilité des dirigeants.
Donc, vous ne devez pas imaginer que les Japonais respectent toujours les personnes âgées. Cette histoire appartient au passé. Vous devez plutôt revoir La Ballade de Narayama, le chef-d'oeuvre d'Imamura, mais vous devez soustraire la dignité de ce film pour comprendre la situation actuelle au Japon.

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vendredi 18 avril 2008

Le col (poème de MAKABE Jin)

Le col (1947)
MAKABE Jin

Le col est un endroit qui force une décision.
Une mélancolie claire pour une séparation y coule.
Celui qui est monté jusqu'au sommet
S'expose à l'azur imposant,
Et puis lui montre son dos.
Les paysages y sont reliés,
Mais on ne peut entrer dans une différente vue
Sans perdre une autre.
C'est seulement en subissant une grande déchéance
Qu'un nouveau monde s'ouvre.
Quand vous êtes sur le col,
La route passée vous laisse un souvenir,
Et celle qui s'ouvre porte un espoir.
Elle ne vous répond pas.
Elle ne fait que vous appeler sans cesse.
Même si vous avez une destination précise,
Là, vous devez
Vous séparer pour un autre monde.
Afin d'enfouir cette pensée,
Le voyageur garde tout le paysage visible dans ses yeux,
Urinant lentement,
Cueillant les herbes,
Ou fumant une cigarette.

MAKABE Jin (1907-1984) est un poète japonais qui vivait à Yamagata, une ville de la région du nord-est.

Ceci est probablement le meilleur poème japonais d'après-guerre à mon avis. (Je préfère la poésie sévère au romantisme humide.) Je suis désolé pour la traduction hâtive comme d'habitude.

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mardi 15 avril 2008

En ce qui concerne ta sensibilité (1977)

IBARAGI Noriko

Ne prête pas aux autres
Ton coeur qui se dessèche.
C'est toi qui as négligé de l'arroser.


Ne prête pas à tes amis
Ta hargne de ces jours-ci.
Qui des deux a perdu la souplesse?


Ne prête pas à ta famille
Ton énervement.
C'est moi qui n'était bonne à rien.


Ne prête pas à ta vie
La perte de ton premier espoir.
Il était faible dès le début.


Ne prête pas à l'époque
Tout ce qui est foutu.
Abandon de la dignité à peine luisante.


En ce qui concerne ta sensibilité,
C'est à toi de la garder.
Idiote.


IBARAGI Noriko (1926-2006) représente la lignée de poétesses d'après-guerre au Japon.

mercredi 9 avril 2008

Le crépuscule (poème de YOSHINO Hiroshi)

Le crépuscule
YOSHINO Hiroshi

Comme toujours
La métro était pleine.
Et
Comme toujours
Jeunes hommes et jeunes filles étaient assis
Les personnes âgées étaient debout.
Une jeune fille qui baissait la tête se leva
Pour céder sa place à une personne âgée.
Elle s'assit à la hâte.
Elle descendit à la prochaine station sans la remercier.
La jeune fille se rassit.
Une autre personne âgée fut poussée
Vers elle d'un autre côté.
Elle baissa la tête.
Mais
Elle se releva
Lui céda
Sa place.
La personne âgée descendit à la prochaine station en la remerciant.
La jeune fille se rassit.
Comme on dit jamais deux sans trois
Une autre personne âgée fut poussée
Devant elle.
Pauvre jeune fille
Baissa la tête
Et elle ne se leva pas cette fois-ci.
Ni à la prochaine station
Ni à la prochaine station
En mordant sa lèvre basse
En raidissant son corps ---.
Je descendis de la métro.
Tendue, baissant sa tête,
Jusqu'où est-elle allée?
Une personne gentille
Est victime du mauvais sort malgré elle
Partout tout le temps.
C'est qu'elle
Eprouve la douleur d'autrui
Comme la sienne.
Jusqu'où peut-elle aller
Reprochée par sa propre gentillesse.
Mordant sa lèvre
Dans la douleur
Même sans voir le beau crépuscule.

Poème de YOSHINO Hiroshi (1926-)

Lorsque j’ai appris ce poème au collège, je ne l’ai pas du tout apprécié. Je croyais qu’il était hypocrite. C’est que j’avais un esprit tordu. Je comprends la qualité de ce poème maintenant. Pour ceux qui ne la saisissent pas bien: Le poète s’est ému surtout de la beauté du crépuscule, et il a eu empathie pour cette jeune fille qui ne pouvait pas en profiter.

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Le monde est un livre (poème de OSADA Hiroshi)

Le monde est un livre (1991)
OSADA Hiroshi

Lisons des livres.
Lisons plus de livres.
Lisons encore plus de livres.

Les livres ne sont pas que des lettres écrites.
Lumière du soleil, étincellements des étoiles, chants des oiseaux,
Bruissement des rivières, ce sont des livres.

Silence du bois des hêtres,
Fleurs blanches des cornouillers,
Grand orme solitaire, ce sont des livres.

Il n'y a rien qui ne soit pas livre.
Le monde est un livre ouvert,
Ecrit avec les mots invisibles.

Urumqi, Messine, Tombouctou,
Ce ne sont que des points sur la carte.
Les villes lointaines des pays lointains sont des livres.
Le livre des habitants est la ville.
Les rues libres sont des livres.
Chaque lumière de la fenêtre dans la nuit est un livre.

Les chiffres du marché de Chicago sont un livre.
La tempête de sable dans le désert du Nefud est un livre.
Deux yeux fermés du dieu de la pluie de Maya est un livre.

Un homme porte dans son coeur un livre appelé la vie.
Un homme est un livre.
L'expression d'un vieil homme amnésique est un livre.

La plaine, le nuage, et puis le vent.
Gazelles et gnous qui meurent en silence sont des livres.
La dignité sans autorité est le tout.

Une petite astre dans les vingt milliards d'années-lumières.
Ce n'est rien d'autre: Vivre,
C'est savoir penser.

Lisons des livres.
Lisons plus de livres.
Lisons encore plus de livres.

Poème de OSADA Hiroshi (1939-)

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Commentaires racistes sur YouTube concernant les Chinois et le problème du Tibet

Quelqu'un a uploadé à YouTube une vidéo (octobre 2006) dans laquelle on peut voir les soldats chinois qui tuent les personnes se rendant au Tibet. Il paraît que l'image a été tournée aux frontières entre la Chine et le Tibet. (Je crois que c'est un document peu sérieux et très probablement truqué, même si je suis outré par la politique actuelle du gouvernement chinois pour les Tibétains.) Le titre est "L'image de l'armée chinoise qui tue indifféremment les pèlerins tibétains". La vidéo en anglais est sous-titrée en japonais. Je traduis les commentaires récents de caractères racistes des utilisateurs japonais envers les Chinois. Les opinions haineuses sont souvent très souvent appréciées ici, selon le pouce-o-mètre.
"Il faut éliminer les Chinois de la terre."
"Le Terminator appartient au monde imaginaire, mais j'en veux un réellement. Je voudrais faire massacrer les Chintocs communistes cruels par lui."
"Donc il faut tuer les Chinois quand on les croise dans notre pays. Je serais tranquille, car je considère la vie des gens qui négligent la vie des autres comme une ordure. Et la vie des Chinois est une sorte d'ordure, n'est-ce pas?"
"Ils ne regrettent rien, et ils tuent leurs compatriotes tranquillement. Les nazis sont plus humains qu'eux."
"Chinois = Blattes"
Comme cela m'attriste de continuer, je cite le message très spammy qui me paraît le plus significatif.
"On ne peut sauver la vie des Tibétains si on discute avec les Chintocs ici! C'est une pure perte de temps!"
Et il appelle à signer la pétition pour Tibet Support Network Japan.
Celui-là résume la mentalité de la grande majorité des racistes.
"Je ne tolère pas la discrimination, mais seuls les Chinois doivent être l'objet de la discrimination."
Comme cela, il me semble que le mouvement pro-tibétain ne sert qu'à attiser le racisme anti-chinois vraiment primitif et primaire au Japon. Ils n'ont aucune imagination pour les Chinois que le problème du Tibet chagrine. Je cite un commentaire anti-japonais à la fin. Je ne suis pas d'accord pour la deuxième phrase, mais en revanche, je comprends la première question, car les Japonais sont le dernier peuple qui soit intéressé par les affaires internationales.
"Since when Japanese start to care about Tibet? Pathetic little island monkies!"

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vendredi 4 avril 2008

L'origine du fantasme

(J'ai transféré cet article du blog de la page Takagi Kyôzô.)

(C’est la suite de l’article précédent.)

L’imposteur Takéuchi Kiyomaro qui a découvert le tombeau de Jésus-Christ à Shingô était fondateur d’une secte religieuse appelée Amatsu. C’était une petite secte nationaliste influencée plus par le shintoïsme que par le christianisme. Le fait que les Japonais utilisent l’écriture chinoise est un grand complexe pour les nationalistes, et ils ont souvent prétendu que les Nippons avaient leur propre écriture avant la rencontre avec la civilisation chinoise. Voilà l’écriture japonaise des temps des dieux.


C’est une invention pure et grotesque bien sûr. Il n’y a pas que Takéuchi qui a "découvert" l’ancienne écriture des Japonais, et plusieurs savants ont essayé en vain de prouver l’existence.
La particularité de cet imposteur est qu’il a prétendu que les Japonais du nord avaient des rapports avec les juifs à l’époque de Jésus-Christ. Selon ce que ces fous prétendent, c’est Iskri qui est mort à Jérusalem, mais le Christ lui-même s’est échappé à la mort pour survivre au nord du Japon jusqu’à l’âge de cent six ans.
Les Japonais adorent trop les histoires mystérieuses probablement, et je ne rencontre que des explications superflues. (Le pédagogue connu Kanô Kôkichi, un ami à Natumé Sôséki, a sérieusement critiqué les archives Takéuchi en 1936. Cela montre l’air des temps qui voulait croire aux mensonges nationalistes, car même un érudit comme Kanô s’est senti le besoin de réfuter l’authenticité d’un tel document peu sérieux.) Je voudrais placer ce fantasme dans le contexte historique et culturelle de ma région.
Le village Shingô n’est pas mieux que le hameau d’Horodzuki chanté par Takagi Kyôzô. La différence est que si celui-ci est un village au bord de la mer, Shingô est dans la montagne. Vous devez être surpris de savoir qu’il y avait des gens qui ont inventé cette histoire incroyable dans un hameau pauvre du nord du Japon, mais ce n’était pas la première fois que ces gens ont inventé une légende de survie fantasmée. Je commence par le début.
On peut dire que le pays du Japon a été fondé au début du 8e siècle avec le code Taïhô. C’est un pays relativement nouveau. Ce code qui donne officiellement le Japon comme le nom du pays pour la première fois dans l’histoire, et qui définit la hiérarchie aristocratique dont le sommet est l’empereur, était formellement en vigueur jusqu’en 1867. Mais depuis la fin du 12e siècle jusqu’à cette date-ci, le pouvoir politique appartenait aux guerriers dont le chef était le shôgun. La région d’Aomori, pays sauvage et pauvre, restait relativement indépendante du centre jusqu’à la fin du 16e siècle, à l’époque de Hidéyoshi, sans que les habitants ne demandent rien. Le shôgunat était indifférent à cette région, c’était tout.
Le premier shôgun qui ait eu le pouvoir à la fin du 12e siècle s’appelle Minamoto-no Yoritomo. Il a chassé la noblesse Taïra de la cour, pousser l’empereur à la mort, et fondé le gouvernement à Kamakura loin de Kyôto, dans l’est du Japon. Guerrier féroce et cruel au tempérament sanguin, Yoritomo n’était pas aimé du peuple. En revanche, son frère Yoshitsuné, représenté comme quelqu’un de frêle, était cultivé et humain. C’était lui qui était populaire, et il a inspiré beaucoup de littératures populaires. Bon guerrier lui aussi, Yoshitsuné a attiré la jalousie de son frère, et il a été tué par l’assassin envoyé par son propre parent à Hiraïzumi, la seigneurie des plus puissante du Japon à l’époque (la plus grande ville juste après Kyôto) qui se situait juste au sud d’Aomori actuel. Le haïku connu de Bashô, "Herbes d’été. Trace du songe des valeureux guerriers", parle de la ruine de cette ville.
Le reste de Taïra et de Fujiwara d’Hiraïzumi, qui protégeait Yoshitsuné, a fui en passant par le village Shingô vers le Hokkaïdô. Mais les gens d’Aomori qui adoraient Yoshitsuné par la rumeur voulaient qu’il ait survécu à la bataille d’Hiraïzumi. Par exemple, il y a un temple bouddhiste qui consacre le héros dans la péninsule de Tsugaru, pas trop loin d’Horodzuki. Yoshitsuné n’y est jamais passé comme un fait historique, mais c’est la croyance populaire qui veut le contraire. C'est la photo du temple de Yoshitsuné.


La légende ne s’arrête pas là. J’ai déjà dit dans le commentaire ajouté au poème "La tempête de neige" que les berceuses de ma région font peur aux enfants, dont la plus connue chante: "Ne pleure pas. Si tu pleures, les Mongols arrivent de la montagne!" (Pourquoi viennent-ils de la montagne? Ce n’est pas logique.) La croyance populaire de ma région veut que Yoshitsuné qui serait passé au continent soit devenu Gengis Khan pour se venger. Mais quelle histoire! Takagi Akimitsu, un neveu de notre poète, a écrit un livre intitulé Le Secret de Gengis Khan qui traite de cette légende. (Akimitsu, romancier de polar, est plus connu que son oncle.)
Je suppose par conséquent que les gens ont inventé l’histoire de Jésus dans la confusion avec Yoshitsuné, frêle, humain et philanthrope. Je crois que la région pauvre délaissée par le pouvoir du centre du Japon attendait vraiment la "bonne nouvelle" au 16e siècle. Ils n’entendaient l’histoire du christianisme que par la rumeur, et les missionnaires ne sont jamais venus à notre région. Ils ont même imaginé que c’est Iskri (Iesu Chri, très probablement) qui est mort à Golgotha, mais le Christ lui-même a réussi à s’échapper à la mort. Si je crois que cette histoire populaire n’a pas été inventée par Takéuchi à lui seul, c’est à cause de ce nom d’Iskri et de la chanson de Nanyadoraya. Un seul imposteur étranger à la région n’aurait pas inventé tout cela.
Depuis quelques années, les fouilles archéologiques montrent que les anciens habitants de l’archipel du Japon étaient composés de deux races. La ligne de démarcation se situait au niveau du Mont Fuji et ce qu’on appelle les "Alpes japonaises". Parlant la même langue, ces deux races formaient une ethnie, mais les gens de l’ouest appartenaient au même groupe racial que les Coréens, une autre ethnie. (Même s’il n’y a aucun doute pour le mélange, il semble que l’ancien peuple de l’est n’appartienne pas au même groupe que les Aïnous, l’ethnie mineur d’Hokkaïdô.) Les habitants du Nord-Est, région injustement délaissée, qui n’ont jamais connu la prospérité de l’ouest du Japon, sont presque inconsciemment habités par ce fantasme d’un peuple différent des autres Japonais. Je pense que c’est cette obsession ancestrale des gens du nord qui a fait découvrir à Takéuchi le tombeau de Jésus dans cette région. (Il parle également de l’empereur Godaïgo, destitué par le shôgun Ashikaga Takaüji. Il était attiré par les personnages défavorisés du sort.) Le quartier qu’il a découvert le tombeau porte le nom de Héraï. Takéuchi prétendait qu’il avait le même étymon que le mot "hébreu"... S’il n’a pas cherché ailleurs le tombeau du Christ, c’est qu’il avait bien le nez de l’imposteur.

P.S. Très bêtement, je croyais que Takéuchi était d’Aomori, mais ce n’était pas le cas. Comment a-t-il pu trouver la localité de Shingö alors? J’ai réécrit ces deux articles un peu, mais il reste des ruptures de logique évidentes. Je ne les effacerai pas tout de même, car ils pourraient toujours intéresser certains lecteurs. Si tout cela n’était qu’une imposture inventée par le gourou des années 1930, je peux dire au moins que cette histoire a parlé à l’inconscient des habitants pour qu’ils continuent à la fêter jusqu’à aujourd’hui. Le savant Kanô disait que cette secte était au moins anodine, et il paraît qu'elle existe encore sans être connue. Sur son site officiel, j'ai découvert qu'elle possédait l'édition originale des dix commandements de Moïse gravés sur la pierre
Si vous me demandez si cette histoire du tombeau du Christ peut être un objet des études ethnographiques, je vous répondrait que non, mais pour la légende de Yoshitsuné, si. Enfin, j’aurais voulu seulement parler du frère du shôgun. Le tombeau du Christ n’est qu’une de ses variations, déformée et grotesque. Il est vrai que c'est la commune qui fête officiellement la fête du Christ. Mais ce n'est qu'une idée saugrenue d'un village qui n'a aucune industrie et qui veut ajouter un peu à la recette touristique. C'est tolérable à mon avis. Vous pouvez toujours passer dans la région pour apprécier le joli paysage du fleuve Oïrasé, tout près de Shingô.


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Histoire curieuse d'Aomori: Fête du Christ

(J'ai transféré cet article du blog de la page Takagi Kyôzô.)

Je continuerai à donner la traduction des poèmes de Takagi Kyôzô, puisque c’est une page pour lui, mais je vais parler aujourd’hui d’une autre
histoire d’Aomori qui pourrait vous intéresser.

Un village qui s’appelle Shingô fête annuellement la fête du Christ  au mois de juin. Les tombeaux de Jésus-Christ et de son frère Iskri (c’est marqué Isukiri, mais je pense que le nom est mieux transcrit ainsi) sont là pour la commémoration. Preuve en image. キリスト, c'est le Christ.



Je ne sais trop comment comprendre ce monument de l’amitié entre ce village et Jérusalem...
Bien sûr que cette fête est païenne, et il n’y a rien de chrétien dedans. Comme un fait historique, c’est chez un des villageois qu’on a découvert ces tombeaux en 1935. Il était d’une des familles les plus riches du village, et un fondateur de secte religieuse cherchait les vestiges des tombeaux parce qu’il possédait un document qui disait que Jésus-Christ est mort au Japon dans ses archives familiales. Pourquoi y avait-il quelqu’un qui a imaginé cette histoire incroyable? Je suis ahuri de constater qu’ii n’y a pas d’explications raisonnables, mais j’ai mon hypothèse assez convaincante. Je vais la montrer dans mon prochain article, mais je voudrais vous laisser apprécier la chanson de la fête d’abord.



C’est le tombeau de Jésus-Christ que vous voyez dans cette vidéo. Les danseuses chantent "Nanyadoraya nanyadorasareno nanyadoraya". Les Japonais ne comprennent plus la signification, mais cela veut dire "Louez le Seigneur. Il a chassé nos ennemis. Louez le Seigneur", en hébreu bien sûr :-o Un docteur ès théologie l’a prétendu. Alors, ça doit être vrai ;-p Plus sérieusement, cela doit être une chanson un peu paillarde à l’origine, qui dit "fais-le, fais-le". Oups, est-ce que c’est plus sérieux? :D

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mardi 1 avril 2008

Censure, censure

Si vous êtes intéressé par le Japon, je pense que le nom de Yasukuni ne vous est pas étranger. Même si vous ne connaissez pas ce nom, vous avez probablement entendu parler du sanctuaire où les criminels de la Deuxième Guerre mondiale sont vénérés. L’ex premier ministre Koïzumi s’y est rendu pour leur rendre un culte en tant qu’homme public, ce qui a attiré la critique violente des pays asiatiques, surtout la Chine et la Corée du Sud, à tel point que cet acte a détérioré les rapports diplomatiques. Il faut que je dise que le sanctuaire de Yasukuni est un temple shintoïste de deuxième classe, qui n’a pas vraiment un statut religieux important, mais qu’il a un caractère politique et idéologique. D’ailleurs, on dit qu’Hirohito, le chef religieux du shintoïsme, ne voulait pas que ces criminels de guerre soient enterrés dans un sanctuaire shintoïste...
Maintenant que Fukuda sinophile est le premier ministre, on attendait que les relations entre l’Asie et le Japon commenceraient à regagner le terrain perdu, mais voilà qu’une affaire ennuyeuse surgit.
Un réalisateur chinois a tourné un documentaire intitulé Yasukuni, et sa sortie était programmée pour le 12 avril. Mais les microbus de l’extrême droite ont protesté à la sortie du film avec leurs haut-parleurs étourdissants, et les salles de cinéma ont décidé de l’annuler pour le confort des clients. Mais bien sûr...
Donc, ce n’est pas du tout la censure par l’Etat, qui ne la veut pas d’ailleurs, mais l’autocensure par le racisme au quotidien. Vous avez tort d’imaginer que les gens qui travaillent dans le domaine culturel soient généralement antiracistes au Japon. Peut-être le sont-ils au fond du coeur, mais ils sont tellement pusillanimes et conformistes.
Ces gens d’extrême droite n’ont pas vu le film, cela va sans dire. Un film intitulé Yasukuni, réalisé par un Chinois, c’est déjà une lèse-majesté pour eux. Mais il est bien étrange que personne ne dise si c’est un bon film ou pas. Peut-être que personne ne l’a vu. Une députée du Parti Libéral-Démocrate qui a vu ce film se prend pour un Voltaire: "L’idéologie de ce documentaire n’est pas compatible avec la mienne, mais le Japon est un pays où la liberté d’expression est assurée." C’est carrément consternant que personne ne risque sa "vie" de peur des mafieux. Le Japon est l’empire de l’autocensure. Vous n’imaginez pas à quel point les gens d’extrême droite sont puissants en puissance au Japon.
Au fait, si les Français sont critiques à l’égard des JO de Pékin, c’est souvent par le souci des droits de l’homme, mais c’est un peu différent au Japon. Le dimanche suivant l’oppression des Tibétains, il y a eu quelques manifestations organisées par les groupes d’extrême droite anti-chinois, qui ont commencé par chanter leur hymne national. Non, ils ne pensaient pas du tout aux Tibétains, c’était seulement un prétexte. On dit qu’ils se sont rassamblés longuement devant l’ambassade de la Corée du Sud pour réclamer l’île Takéshima (Tokdo en coréen) occupée par les Coréens. Vous essayerez en vain de les comprendre. Pour vous rassurer, je dis que les manifestations "normales" ont eu plus de participants que ces groupes.
J’ai déjà parlé de l’hymne et du drapeau prétendument nationaux. Ce sont des trucs d’extrême droite pour moi, parce que ce sont des emblêmes du Grand Empire du Japon (1889-1947), contenant la péninsule de Corée, Taïwan, la Sakhaline du Sud et les îles Kouriles comme territoire. Je ne les approuve pas, surtout qu’ils n’ont été "légalisés" qu’en 1999, un grand pas en arrière pour le Japon. Et le gouverneur de Tokyo licencie les enseignants des écoles publiques qui ne sont pas debout pour chanter ce soi-disant hymne national à la cérémonie depuis l’officialisation de ces hymne et drapeau. Je ne plaisante pas.

P.S. Article de Philippe Pons dans Le Monde
Ce sont les salles de Tokyo qui ont annulé la sortie, et on a décidé autrement pour d’autres villes. Je commence à avoir un grand doute. Est-ce que ce n’est pas une nouvelle promotion? Une façon rusée de faire parler d’un documentaire, dont on ne peut s’attendre à un succès commercial normalement? Ne va-t-on pas sortir le film même à Tokyo dans quelques semaines?

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