mercredi 22 avril 2009

Le procureur est-il un justicier?

J'ai traduit cet article pour vous montrer le ton de la presse japonaise quand elle parle de la peine capitale.

La famille du petit Gôken montre sa déception auprès du parquet : « Nous ne voulions pas que le procureur renonce à sa première résolution »

 Tout comme le jugement en première instance, le satellite Akita de la cour d'appel de Sendaï a déclaré la peine à perpétuité à HATAKEYAMA Suzuka, 36 ans, sans emploi, principalement accusée d'homicide pour l'affaire du meurtre de deux enfants à Fujisato (Akita). Comme le parquet de Sendaï a renoncé à faire la demande de cassation, les parents de l'enfant tué YONEYAMA Gôken (sept ans à l'époque) ont publié un commentaire le 14 : « Nous espérions nous faire venger de notre fils, mais cet espérance n'est désormais qu'un souhait irréalisable. »

 Ce commentaire est écrit sur deux feuilles A4. Ils montrent ouvertement leur déception auprès du parquet de Sendaï en disant : «
 Nous ne voulions pas que le procureur renonce à sa première résolution jusqu'à la fin, quoi que soit le résultat. Il a fermé la porte pour réaliser une justice sociale de sa propre main. » Et ils font exploser la colère vers Hatakeyama qui s'est pourvue en cassation : « Elle a donné la priorité à ses propres intérêts. »

 Ils réfutent également les raisons que la cour cite dans le jugement pour avoir fait éviter la peine de mort à l'accusée :
1. On ne peut dire que ce soit un acte prémédité. 2. Il n'est pas accompagné d'intérêt personnel. 3. L'exécution du crime n'est pas particulièrement cruelle ni obstinée. Les parents du petit Gôken remarquent : « Si c'est un acte poussé par les intentions meurtrières instantanées, est-ce une raison pour réduire la peine dans le cas d'un homicide ? » Et ils critiquent ce jugement : « Toutes ces raisons citées sont trop loin des idées communément partagées. »

 Ils affirment qu'ils étaient « consternés par l'inhumanité de ce monde pendant le procès, loin de pouvoir
[se] venger de [leur] fils même juste un petit peu » et concluent : « Nous ne pouvons nous empêcher de souhaiter du fond du cœur que la vie d'un enfant aura plus de poids dans un monde à venir. »

 Le code de procédure pénale dit que l'instance supérieure ne peut déclarer une peine plus lourde que la première instance si le procureur ne fait appel. Le renoncement d'appel par le parquet qui demandait la peine de mort à Hatakeyama lui a fait éviter l'application de la peine capitale.

(15 avril 2009)

 Cet article a paru dans le site d'un journal régional de Sendaï (chef-lieu de la région de Tôhoku [Nord-Est]), Kahoku Shinpô. (Le chien akita-inu est bien issu d'Akita.) C'est un peu difficile à comprendre, mais ici, la première résolution du procureur doit être celle d'un justicier : punir les méchants. Je crains que cet article ne soit presque incompréhensible à la première lecture. Les parents de l'enfant tué ne reconnaissent aucun sens dans la peine à perpétuité. Je crois que ce n'est même pas une peine pour eux. D'ailleurs, c'est très bizarre pour moi d'entendre ces mots de la bouche de quelqu'un qui veut la peine de mort. Selon eux, la peine capitale fait respecter la valeur de la vie et elle rend le monde moins inhumain. C'est vraiment absurde.
 Cette affaire a fait énormément parler, et l'accusée a été beaucoup médiatisée. Elle a d'abord tué sa propre fille et puis ce petit garçon Gôken. Avant de perpétrer son deuxième meurtre, elle jouait la victime dont une enfant s'était fait tuer. Il semble que la télé ait fréquemment passé l'image de cette femme affligée. (La plupart des émissions japonaises sont du très mauvais goût, y compris le journal télévisé. D'ailleurs, un lieu commun dit « Belles femmes d'Akita ». Mais on ne dit pas la même chose sur les femmes d'Aomori. On est voisins pourtant !) Certains pensent qu'elle a tué un autre enfant pour attirer plus d'attention sur elle, mais on ne sait jamais. Ainsi est-elle passée d'un personnage tragique à la criminelle détestée de tous.
 En tout cas, le ton du média japonais, faussement objectif ici, fait froid au dos. C'est un pays où plus de 80 % de la population soutiennent la peine de mort, et ils se réjouissent d'entendre déclarer la peine capitale. Ceux qui sont contre la peine de mort comme moi sont tout simplement traités d'inhumains. Et les Japonais s'emportent très facilement quand ils parlent de ce sujet.
 J'ai parfois l'impression que la mission du média japonais est de confirmer davantage les idées communément partagées. Les journalistes n'écrivent que ce qui plaît au public, et ils ne font pas autre chose dans la plupart des cas. De ce point de vue, il faut qu'on s'aperçoive que la mention « sans emploi » est apposée au nom de l'accusée. Bien sûr que les gens sans emploi sont dangereux ! Heureusement, tous les juges n'en sont pas encore là, mais certains commencent à condescendre à la prière des familles des victimes. Ce sont des juges geishas. La cour est théâtralisée de plus en plus, mais apparemment, ce phénomène n'est pas constaté qu'au Japon. (Le langage journalistique est vraiment loin d'être neutre à l'égard des (supposés) criminels au Japon. Si c'est une victime, on omet la mention « sans emploi ». Si c'est un criminel, il peut être un « soi-disant plombier » par exemple. Aucune victime de meurtre n'a jamais été soi-disant quelque chose.)
 Dans le titre de cet article, il y a un mot que je déteste dorénavant : Izoku 遺族. Ce mot (« famille du mort ») voulant dire « famille laissée » à la lettre est fréquemment utilisé par le média pour justifier la peine lourde. Il faut respecter les sentiments de la famille de la victime d'un homicide (izoku), volontaire ou involontaire. C'est ces sentiments qui font le ravage actuellement au média japonais. Je ne vois pas trop le lien entre les sentiments de la famille de la victime et la peine lourde, mais ces izoku sont apparemment contents d'entendre prononcer la peine la plus lourde possible. Et un Japonais s'identifie à la « famille laissée », et s'indigne des « méchants » avec elle, comme s'il était membre d'une grande famille qu'est le Japon. Quel bon système pour l'exclusion.
 Mais dans le monde moderne, depuis le dix-huitième siècle au temps de Beccaria, la peine existe pour la prévention, non pas pour la vengeance. Et pourtant, s'ils ne le savent pas, ce n'est pas leur faute, c'est la faute de l'éducation nationale...
 Mais il faut qu'ils sachent. Une personne n'appartient pas qu'à la famille, et c'est vraiment indécent de se victimiser ainsi pour un mort. La vie d'une personne n'est pas aussi petite que ça. La victime, ce n'est pas vous, mais quelqu'un qui vous était cher. La vie de ce quelqu'un dépasse largement le cadre familial. Alors, laissez tranquille l'âme de cette personne, sans crier vengeance... Ne parlez plus comme si cet être avait été un bien privé pour vous... Je crois bien comprendre vos sentiments (à part cette haine particulière), mais ils n'ont rien à voir avec la justice, qui doit rester plus ou moins froide. Moi, je ne réclamerais jamais une justice chaude. La justice ne tient pas compte des morts, et elle doit toujours penser à la vie d'un criminel, même s'il ne montre jamais aucun regret.
 (Dans le mot français « pardon », il y a don, et en anglais, on trouve l'élément give dans forgive. En revanche, le verbe japonais ゆるす (yurusu, pardonner) ne veut dire que « desserrer, relâcher » étymologiquement. Cela ne fait penser qu'à la ceinture et au caoutchouc au mieux. C'est peut-être pour cela que les Japonais ont du mal à trouver un caractère noble dans le pardon. La littérature moderne connaît des romans dont le sujet est le pardon, mais ce sont très souvent des œuvres des écrivains catholiques. Voyage dans la nuit sombre de SHIGA Naoya, par exemple.)


3 commentaires:

空 (ジェローム) a dit…

Cruelle décision.

Nicolas a dit…

J'admire le courage dont fait preuve la societe japonaise sur le sujet de la peine de mort.
C'est une peine juste dans certaines conditions.

fisaxij a dit…

Je ne vois pas du tout pourquoi vous parlez du courage. Dans la société où 90% de la population soutiennent la peine de mort, il faut du courage pour être contre, et le conformisme est bien suffisant pour être pour.

Si vous le dites en pensant au plan international, pensez-vous que les Chinois et les Américains sont plus courageux que les Japonais? ou moins?

Peut-être que le meurtre est juste dans certaines conditions, n'est-ce pas?

Ces Japonais hystériques disent "Peine de mort ou rien" pour les meurtriers. Ce n'est que la négation complète des fondements du système pénal. C'est un raisonnement digne des terroristes. Admirez-vous aussi le courage des terroristes?