samedi 29 mars 2008

Procès d'Oé Kenzaburô

Hier, Oé Kenzaburo, le lauréat du prix Nobel de la littéarture, a gagné le procès dont il était accusé de la diffamation contre les vétérans de la Deuxième Guerre mondiale. Il a écrit Les Cahiers d'Okinawa, reportage sur la bataille d'Okinawa, une bataille particulièrement sanglante à laquelle même les adolescentes ont participé comme de jeunes soldats. Dans ce livre, le romancier parle du suicide collectif des îliens, et ces anciens lieutenants ont porté plainte pour nier leur responsabilité dans cette affaire tragique. Le tribunal a décidé que l'armée avait bien une responsabilité dans cet événement et a acquitté Oé.
C'est une affaire très étrange. D'abord, Oé ne dit pas que ces lieutenants ont donné l'ordre aux habitants de se suicider. Et puis, les plaignants n'avaient pas lu le livre avant d'engager les poursuites judiciaires pour la diffamation. Si on tient compte de ces faits élémentaires, le jugement ne peut être que non coupable pour Oé.
Si ce procès concerne les Japonais, c'est qu'il s'agit de la bataille d'Okinawa. Ces lieutenants (en fait, l'un des deux plaignants est le neveu de la personne qui a participé à la bataille) sont des Japonais qui étaient envoyés pendant la guerre aux archipels de Ryûkyû, qui étaient un pays indépendant jusqu'au 19e siècle. Là, on parle un dialecte très différent du japonais, et les habitants ont une culture propre à eux. Depuis qu'Okinawa a fait partie du Japon, les Nippons leur a interdit l'utilisation de leur dialecte.
Les Américains ont attaqué ces îles avant de débarquer à la métropole japonaise. On pense généralement que l'armée a ordonné aux habitant de mourir comme des Japonais exemplaires avant que ces îles soient complètement occupés par les ennemis. On suppose que les soldats ont distribué les grenades afin qu'ils puissent mourir "dans la dignité". Ces plaignants prétendent qu'ils n'avaient jamais donné d'ordre, mais leur plainte a été rejetée.
Je suis un peu frustré de la conclusion du procès, car ce procès était instrumentalisé par les deux camps, de gauche bien-pensante et d'extrême droite. Je ne suis ni pour l'une ni pour l'autre. Ce qui m'intéressait était plutôt les sentiments des plaignants et de ces soldats "japonais" qui ont connu cette expérience. "Nous ne pouvions rien faire. Nous étions complètement ahuris devant ces habitants qui se suicidaient sans que nous donnions l'ordre. Nous avions très peur." C'est ce qu'ils disent. C’est ce que ces gens disent. Ce qui est embêtant est que les plaignants parlent de la belle mort...
Les bien-pensants disent qu'ils mentent, et les gens d'extrême droite affirment que l'armée n'avait aucune responsabilité dans l'affaire. Mais pour ma part, je crois que ces soldats disent la vérité, sans que je nie la responsabilité globale de l'armée dans cet événement tragique. Le tribunal a adopté l'opinion des bien-pensants tout bonnement. (Les plaignants ont fait appel.) Mais mon opinion est plutôt comme cela: Très probablement, beaucoup d'habitants d'Okinawa se sont suicidés sous l'ordre de l'armée. Mais certains îliens ont choisi la mort, poussés par on ne sais quel sentiment de devoir intériorisé. Il n'est pas étonnant, pour moi au moins, qu'il y ait eu des soldats japonais qui ont assisté à ce comportement au-delà de compréhension à la fin de la guerre irrationnelle.
Comme j'ai déjà traité du sujet dans un autre article (KY), c'est une obligation pour les bons Japonais de s'adapter à l'"ambiance" générale, d'agir comme tout le monde. Et cette ambiance peut les pousser jusqu'à la mort. Il est bien possible que les habitants d'Okinawa se soient suicidés, sans ordre formel pour tout le monde, et que certains aient "volontairement" choisi la mort en un sens. Si je me permets une petite ironie, ces Okinawans sont morts véritablement comme les Japonais exemplaires qui imitent les autres sans réflexion profonde et existentielle... Mais enfin, on ne parle pas de la mentalité dans la cour...

P.S J'ajoute que je ne suis pas grand fan d'Oé. Je le lisais quand j'étais adolescent, mais c'est ce côté bien-pensant de gauche qui me gêne depuis quelques années.

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