(J'ai transféré cet article du blog de la page
Takagi Kyôzô.)
(C’est la suite de
l’article précédent.)
L’imposteur Takéuchi Kiyomaro qui a découvert le tombeau de Jésus-Christ à Shingô était fondateur d’une secte religieuse appelée Amatsu. C’était une petite secte nationaliste influencée plus par le shintoïsme que par le christianisme. Le fait que les Japonais utilisent l’écriture chinoise est un grand complexe pour les nationalistes, et ils ont souvent prétendu que les Nippons avaient leur propre écriture avant la rencontre avec la civilisation chinoise. Voilà l’écriture japonaise des temps des dieux.
C’est une invention pure et grotesque bien sûr. Il n’y a pas que Takéuchi qui a "découvert" l’ancienne écriture des Japonais, et plusieurs savants ont essayé en vain de prouver l’existence.
La particularité de cet imposteur est qu’il a prétendu que les Japonais du nord avaient des rapports avec les juifs à l’époque de Jésus-Christ. Selon ce que ces fous prétendent, c’est Iskri qui est mort à Jérusalem, mais le Christ lui-même s’est échappé à la mort pour survivre au nord du Japon jusqu’à l’âge de cent six ans.
Les Japonais adorent trop les histoires mystérieuses probablement, et je ne rencontre que des explications superflues. (Le pédagogue connu Kanô Kôkichi, un ami à Natumé Sôséki, a sérieusement critiqué les archives Takéuchi en 1936. Cela montre l’air des temps qui voulait croire aux mensonges nationalistes, car même un érudit comme Kanô s’est senti le besoin de réfuter l’authenticité d’un tel document peu sérieux.) Je voudrais placer ce fantasme dans le contexte historique et culturelle de ma région.
Le village Shingô n’est pas mieux que le hameau d’Horodzuki chanté par Takagi Kyôzô. La différence est que si celui-ci est un village au bord de la mer, Shingô est dans la montagne. Vous devez être surpris de savoir qu’il y avait des gens qui ont inventé cette histoire incroyable dans un hameau pauvre du nord du Japon, mais ce n’était pas la première fois que ces gens ont inventé une légende de survie fantasmée. Je commence par le début.
On peut dire que le pays du Japon a été fondé au début du 8e siècle avec le code Taïhô. C’est un pays relativement nouveau. Ce code qui donne officiellement le Japon comme le nom du pays pour la première fois dans l’histoire, et qui définit la hiérarchie aristocratique dont le sommet est l’empereur, était formellement en vigueur jusqu’en 1867. Mais depuis la fin du 12e siècle jusqu’à cette date-ci, le pouvoir politique appartenait aux guerriers dont le chef était le shôgun. La région d’Aomori, pays sauvage et pauvre, restait relativement indépendante du centre jusqu’à la fin du 16e siècle, à l’époque de Hidéyoshi, sans que les habitants ne demandent rien. Le shôgunat était indifférent à cette région, c’était tout.
Le premier shôgun qui ait eu le pouvoir à la fin du 12e siècle s’appelle Minamoto-no Yoritomo. Il a chassé la noblesse Taïra de la cour, pousser l’empereur à la mort, et fondé le gouvernement à Kamakura loin de Kyôto, dans l’est du Japon. Guerrier féroce et cruel au tempérament sanguin, Yoritomo n’était pas aimé du peuple. En revanche, son frère Yoshitsuné, représenté comme quelqu’un de frêle, était cultivé et humain. C’était lui qui était populaire, et il a inspiré beaucoup de littératures populaires. Bon guerrier lui aussi, Yoshitsuné a attiré la jalousie de son frère, et il a été tué par l’assassin envoyé par son propre parent à Hiraïzumi, la seigneurie des plus puissante du Japon à l’époque (la plus grande ville juste après Kyôto) qui se situait juste au sud d’Aomori actuel. Le haïku connu de Bashô, "Herbes d’été. Trace du songe des valeureux guerriers", parle de la ruine de cette ville.
Le reste de Taïra et de Fujiwara d’Hiraïzumi, qui protégeait Yoshitsuné, a fui en passant par le village Shingô vers le Hokkaïdô. Mais les gens d’Aomori qui adoraient Yoshitsuné par la rumeur voulaient qu’il ait survécu à la bataille d’Hiraïzumi. Par exemple, il y a un temple bouddhiste qui consacre le héros dans la péninsule de Tsugaru, pas trop loin d’Horodzuki. Yoshitsuné n’y est jamais passé comme un fait historique, mais c’est la croyance populaire qui veut le contraire. C'est la photo du temple de Yoshitsuné.
La légende ne s’arrête pas là. J’ai déjà dit dans le commentaire ajouté au poème "La tempête de neige" que les berceuses de ma région font peur aux enfants, dont la plus connue chante: "Ne pleure pas. Si tu pleures, les Mongols arrivent de la montagne!" (Pourquoi viennent-ils de la montagne? Ce n’est pas logique.) La croyance populaire de ma région veut que Yoshitsuné qui serait passé au continent soit devenu Gengis Khan pour se venger. Mais quelle histoire! Takagi Akimitsu, un neveu de notre poète, a écrit un livre intitulé
Le Secret de Gengis Khan qui traite de cette légende. (Akimitsu, romancier de polar, est plus connu que son oncle.)
Je suppose par conséquent que les gens ont inventé l’histoire de Jésus dans la confusion avec Yoshitsuné, frêle, humain et philanthrope. Je crois que la région pauvre délaissée par le pouvoir du centre du Japon attendait vraiment la "bonne nouvelle" au 16e siècle. Ils n’entendaient l’histoire du christianisme que par la rumeur, et les missionnaires ne sont jamais venus à notre région. Ils ont même imaginé que c’est Iskri (Iesu Chri, très probablement) qui est mort à Golgotha, mais le Christ lui-même a réussi à s’échapper à la mort. Si je crois que cette histoire populaire n’a pas été inventée par Takéuchi à lui seul, c’est à cause de ce nom d’Iskri et de la chanson de Nanyadoraya. Un seul imposteur étranger à la région n’aurait pas inventé tout cela.
Depuis quelques années, les fouilles archéologiques montrent que les anciens habitants de l’archipel du Japon étaient composés de deux races. La ligne de démarcation se situait au niveau du Mont Fuji et ce qu’on appelle les "Alpes japonaises". Parlant la même langue, ces deux races formaient une ethnie, mais les gens de l’ouest appartenaient au même groupe racial que les Coréens, une autre ethnie. (Même s’il n’y a aucun doute pour le mélange, il semble que l’ancien peuple de l’est n’appartienne pas au même groupe que les Aïnous, l’ethnie mineur d’Hokkaïdô.) Les habitants du Nord-Est, région injustement délaissée, qui n’ont jamais connu la prospérité de l’ouest du Japon, sont presque inconsciemment habités par ce fantasme d’un peuple différent des autres Japonais. Je pense que c’est cette obsession ancestrale des gens du nord qui a fait découvrir à Takéuchi le tombeau de Jésus dans cette région. (Il parle également de l’empereur Godaïgo, destitué par le shôgun Ashikaga Takaüji. Il était attiré par les personnages défavorisés du sort.) Le quartier qu’il a découvert le tombeau porte le nom de Héraï. Takéuchi prétendait qu’il avait le même étymon que le mot "hébreu"... S’il n’a pas cherché ailleurs le tombeau du Christ, c’est qu’il avait bien le nez de l’imposteur.
P.S. Très bêtement, je croyais que Takéuchi était d’Aomori, mais ce n’était pas le cas. Comment a-t-il pu trouver la localité de Shingö alors? J’ai réécrit ces deux articles un peu, mais il reste des ruptures de logique évidentes. Je ne les effacerai pas tout de même, car ils pourraient toujours intéresser certains lecteurs. Si tout cela n’était qu’une imposture inventée par le gourou des années 1930, je peux dire au moins que cette histoire a parlé à l’inconscient des habitants pour qu’ils continuent à la fêter jusqu’à aujourd’hui. Le savant Kanô disait que cette secte était au moins anodine, et il paraît qu'elle existe encore sans être connue. Sur son site officiel, j'ai découvert qu'elle possédait l'édition originale des dix commandements de Moïse gravés sur la pierre
Si vous me demandez si cette histoire du tombeau du Christ peut être un objet des études ethnographiques, je vous répondrait que non, mais pour la légende de Yoshitsuné, si. Enfin, j’aurais voulu seulement parler du frère du shôgun. Le tombeau du Christ n’est qu’une de ses variations, déformée et grotesque. Il est vrai que c'est la commune qui fête officiellement la fête du Christ. Mais ce n'est qu'une idée saugrenue d'un village qui n'a aucune industrie et qui veut ajouter un peu à la recette touristique. C'est tolérable à mon avis. Vous pouvez toujours passer dans la région pour apprécier le joli paysage du fleuve Oïrasé, tout près de Shingô.
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