vendredi 21 novembre 2008

Le premier ministre illétré

 Le taux d'opinions favorables pour le premier ministre Asô Tarô baisse considérablement depuis une semaine. Il est maintenant moins de 40%. Mais pourquoi? Le peuple a découvert avec ahurissement qu'il ne lisait vraiment que des mangas. Il le disait ouvertement, mais je croyais qu'il le prétendait pour gagner de la popularité auprès des jeunes. Mais on sait maintenant qu'il ne mentait nullement en le disant. La preuve est qu'il ne sait pas lire les caractères chinois... Et cela n'a vraiment rien à voir avec la ségolénitude ou la sarkozytude.
 Voici la liste des mots dont il a donné publiquement la mauvaise lecture.
踏襲 (suivre le pas) (lecture correcte) とうしゅう tôshû - (lecture de Manga Asô) *ふしゅう *fushû
詳細 (détails) しょうさい shôsaï - *ようさい *yôsaï
未曾有 (inouï) みぞう mizoü - *みぞうゆう *mizôyû
怪我 (blessure) けが kéga - *かいが *kaïga
有無 (existence) うむ umu - *ゆうむ *yûmu
措置 (mesures [à prendre]) そち sochi - しょち shochi (処置)
頻繁 (fréquent) ひんぱん hinpan - はんざつ hanzatsu (煩雑)
 Ce que les gens ne disent pas dans la consternation, c'est que toutes ces fautes sont "intéressantes", très variées. C'est vraiment l'anthologie des fautes!
 La faute la plus grave est le premier exemple. La lecture on'yomi (lecture fidèle à l'ancienne prononciation chinoise en principe) du kanji 踏 est , tandis que la kun'yomi (lecture-traduction en japonais) est fumu. Il est vrai qu'on écrit 踏む (le kanji + le hiragana mu) pour le verbe fumu, mais la lecture du caractère ne donne jamais fu tout seul, car ce son fu ne veut rien dire ainsi. C'est le mot fumu (mettre le pied dessus) qui est la traduction du caractère. On ne fait pas la soustraction! C'est une faute au niveau écolier. (La composition générale du mot à deux kanji est on'yomi + on'yomi.)
 On pourrait hasarder une interprétation pseudo psychanalytique. Ce n'est qu'une erreur d'un enfant pré-ado en soi, mais cela ne laisse pas de faire remarquer qu'il y a un autre mot fushû en japonais. Asô a lu le manuscrit préparé par un haut fonctionnaire sur lequel était écrit que le gouvernement japonais actuel "suivait le pas" du discours de l'ancien ministre socialiste Murayama, qui a reconnu que le Japon a envahi l'Asie pendant la première moitié du 20e siècle. Le mot fushû (腐臭) veut dire "l'odeur pourrie". Il est bien possible que l'inconscient d'Asô réac, qui n'est pas meilleur que Tamogami, lui ait fait dire que le discours de Murayama sentait la pourriture.
 Le deuxième exemple avance d'un niveau. C'est une faute de collégien. Vive le progrès! Souvent la partie composante du kanji montre la prononciation. La "clef" du caractère 詳 est 言, et la partie composante est 羊. Quand vous ne savez pas comment lire un kanji, vous pouvez donnez la lecture on'yomi de la partie composante. C'est une astuce qui marche assez bien. Mais dans ce cas-là, la on'yomi de 羊 (), n'est pas la lecture correcte de 詳 (shô). Pas de chance, Tarochan!

 Les exemples de 未曾有, 有無 et 怪我 relèvent d'une autre difficulté très mal expliquée dans l'enseignement de la langue japonaise au Japon, ainsi que dans les manuels de japonais destinés aux étrangers. Un kanji possède assez fréquemment deux on'yomi: go'on (呉音) [le son du Wu] et kan'on (漢音) [le son du Han]. Au huitième siècle pendant l'ère de Nara, l'Etat naissant du Japon a envoyé des délégations en Chine. Et ces envoyés ont ramené au Japon la nouvelle prononciation de chinois, voire la lecture "correcte". Celle-ci est appelée kan'on, et l'ancienne prononciation, "lecture provinciale" pour ainsi dire, go'on. La kan'on a supplanté la go'on par les efforts de l'Etat, mais l'ancienne lecture est restée dans les mots élémentaires ou bouddhiques. La lecture kan'on de 有 est , et go'on, u. Il est vrai que la lecture de ce kanji est généralement , mais ces deux mots 未曾有 et 有無 sont des mots d'origine bouddhiques. Pas de chance, encore une fois! C'est pareil pour 怪我, la kan'on de 怪 est kaï, et la go'on, ké.
 Le cas de deux derniers mots de la liste est complètement différent des exemples précédents. Asô a simplement confondu les mots. 措置 (sochi) et 処置 (shochi) (traitement) sont des mots très ressemblants qui portent à la confusion, un peu comme conjoncture et conjecture. Donc, je dirai que c'est la faute la moins grave. En plus, même si ces mots ne sont pas remplaçables, ce sont des synonymes, tandis que conjoncture et conjecture ne le sont pas.
 Mais l'autre cas 頻繁 (hinpan) et 煩雑 (hanzatsu), dont il est difficile de relever une moindre ressemblance, ne peut être expliqué qu'au niveau psychanalytique. Même si le mot 頻繁 était sur le manuscrit, ce n'est pas du tout une faute de lecture, mais un lapsus révélateur. Le mot 頻繁 veut dire "fréquent", mais 煩雑 "fastidieux". Ce que Asô dit dans la réunion pour l'amitié sino-nippone, était comme suit: "la visite réciproque des dirigeants des deux pays est de plus en plus fastidieuse" au lieu de "fréquente". C'est assez lamentable que les journalistes japonais ne parlent que d'une faute de lecture, sans y voir aucunement l'inconscient d'Asô.
 En tout cas, c'est très curieux que les Japonais généralement indifférents à la politique font baisser le sondage parce que le premier ministre ne sait pas lire les kanji.

2 commentaires:

CoRAWR a dit…

日本語を勉強している私にとって、この記事は興味深いですよ。

Merci beaucoup pour les informations sur les deux lectures on d'un kanji. C'est la première fois que je le lis ! Je trouve cela vraiment dommage que les professeurs de japonais n'en parlent pas.

Eh bien, tout ceci me donne envie d'aller réviser mes kanji !

fisaxij a dit…

Moi, je pourrais enseigner le japonais à leur place! :-s