samedi 13 décembre 2008

Chansons pour enfants au Japon: shôka

 Le mot shôka 唱歌 voudrait dire "chansons à chanter" à la lettre, parce que ces deux idéogrammes signifient respectivement "chanter" et "chansons". Mais ce mot a un sens spécifique. Ce sont des chansons pour enfants, composées au cours d'environ cent ans, dès l'ère Meiji jusque dans les années 1950-1960 au plus tard, mais le mouvement a fini de facto avec la Deuxième Guerre mondiale. C'est le gouvernement qui a pris l'initiative de ce projet musical, tandis que le dôyô 童謡 "chansons enfantines" était un mouvement littéraire et musical des artistes qui n'étaient pas contents du shôka trop formaliste. Déjà, les paroles de shôka sont souvent difficiles à comprendre, parce qu'elles sont écrites en japonais "littéraire" (bungo 文語, "langue écrite" à la lettre), alors que le talent des poètes excellents comme KITAHARA Hakushû (1885-1942) (le premier poète symboliste au Japon, malheureusement mal connu à l'étranger) et NOGUCHI Ujô (1882-1945) s'exerçait pour le mouvement dôyô. Je préfère de loin le dôyô au shôka, mais je donne quelques exemples de shôka d'abord. Le slogan du gouvernement Meiji était "sortir de l'Asie, entrer en Europe", et le projet de shôka en faisait une partie importante pour changer la sensibilité japonaise. Cela ne veut pas dire que ces mélodies sont franchement occidentales, mais elles montrent les efforts de l'émulation. Il faut connaître un minimum de shôka et de dôyô pour comprendre la sensibilité des Japonais modernes. (Les Japonais confondent très souvent ces deux genres. Ils croient que le shôka et le dôyô veulent dire la même chose, mais ce sont des catégories historiquement distinctes l'une de l'autre.)
 Vous pouvez probablement constater que, si certains Japonais montrent l'allergie à être confondus avec les Chinois, cela concerne souvent la sensibilité musicale. Ils crient: "C'est une mélodie chinoise, ça n'a rien de japonais!" C'est qu'on donne l'éducation musicale à l'école toujours avec le shôka, qui porte la trace de la modernisation de l'ère Meiji. Même à présent, Kim Jong-Il donne beaucoup d'importance à la politique musicale, et les Japonais d'avant-guerre étaient un peu comme les Nord-Coréens actuels. C'est peut-être la particularité de l'Asie de l'Est.
 La première tentative pour émuler la musique européenne était "Hana (Fleur)" (1900) de TAKI Rentarô (1879-1903). Ce n'est pas un shôka proprement dit, vu que cette chanson n'a pas été composée pour enfants, mais elle est maintenant considérée comme un morceau qui représente le genre. D'ailleurs, Taki a composé beaucoup de shôka pendant sa vie trop courte.
 Les arrangements sont trop bizarres, mais je ne peux trouver mieux :(



花/滝廉太郎/無伴奏女声三部合唱
Sur le fleuve Sumida dans la douceur du printemps,
Montent et descendent les bateliers.
Même les gouttes d'eau tombent comme les pétales de leurs rames.
A quoi doit-on comparer le cours d'eau?
 "Utsukushiki tennen (La Belle Nature)" est la première valse composée au Japon (1905). L'interprétation est de Soul Flower Mononoke Summit, un des mes groupes favorits. La mélodie est plutôt connue comme la musique de cirque maintenant.



美しき天然

 "Sôshunfu (Début de printemps)" (1913). L'image est tirée d'une émission de NHK "Minna-no uta" (Chansons pour tous). Le dessin est de HAYASHI Seiichi (Sékishoku Elégie, L'Elégie rouge).


早春賦
C'est le printemps sur le calendrier, mais le vent est froid.
Bien que le rossignol uguisu dans la vallée veuille bien chanter,
Il reste muet en se disant que ce n'est pas encore le temps.
 "Oboro-dzukiyo (Soir à la lune vague)" (1914). La chanteuse ISHIKAWA Sayuri dit que c'est un dôyô. Bon exemple de confusion, mais le problème est qu'elle n'est pas bête.


日本の情景・春 朧月夜 石川さゆり 1993年 Ishikawa Sayuri
Le crépuscule s'assombrit sur le champ de colza.
La brume est dense partout sur les cimes de la colline.
Je vois le ciel où la bise printanière souffle,
Et trouve la lune de soir qui brille légèrement.
 "Fuyu-géshiki (Paysage d'hiver)" (1913). L'interprétation est comme il faut, mais pas plus. Une bonne partie de shôka est appelée "monbushô-shôka", shôka du ministère de l'éducation nationale. Et souvent ni le parolier ni le compositeur ne sont identifiés. Cette chanson en est un exemple.



冬景色
Au port où le brouillard léger disparâit,
Le givre matinal est blanc sur le bateau.
On n'entend que le chant d'oiseaux de mer,
Et la maison au bord ne se réveille pas encore.
"Umi (La mer)" (1913). Un autre monbushô-shôka. Ne tenez pas compte de l'image inexistante. Je préfère toujours les chœurs de jeunes filles pour ce genre de shôka.




Là au loin où le bois des pins disparaît,
On voit une voile blanche qui flotte.
Les filets sont hauts, séchés au bord de mer,
Les mouettes sont basses, volant à fleur des vagues.
Regarde la mer sous le soleil.

 "Hamabé-no uta (Chanson de la plage)" (1918). L'enregistrement est de 1941, chanté par Li Xianglan (Ri Kôran). Li Xianglan était le pseudonyme de YAMAGUCHI Yoshiko, Japonaise née en Chine. Li Xianglan était une grande star en Chine pendant la Deuxième Guerre mondiale. Elle se faisait passer pour une vraie Chinoise de peur de décevoir les Chinois et les Japonais. Accusée de trahison contre l'Etat de Chine, elle a avoué qu'elle était japonaise et en a été acquittée. Faisant son mea culpa, elle a été élue sénatrice socialiste. Elle a joué dans les films de Samuel Fuller sous le nom de Shirley Yamaguchi. Née en 1920, elle est toujours vivante. C'est un grand personnage respectable malgré son passé ambigu.


浜辺の歌 李 香蘭
J'erre sur la plage le matin,
Et je me souviens d'autrefois.
Le vent, le bruit, la forme de nuages.
Les vagues qui s'abordent, la couleur de coquillages.
 Elle chante 風よ音よ (kazé-yo oto-yo, le vent, le bruit) fidèlement à la parole originale, mais le sous-titre est 風の音よ (kazé-no oto-yo, le bruit du vent), plus compréhensible en effet, mais qui ne respecte pas l'auteur. Il est vrai que tous les Japonais chantent kazé-no oto-yo à présent, mais cela veut dire que ce peuple ne respecte pas leur patrimoine culturel.

 "Yashi-no mi (Noix de coco)" (1936). La parole est de SHIMAZAKI Tôson (1901), mais le gouvernement au temps de guerre en a fait une chanson particulièrement ambiguë, sous la politique de l'expansion vers l'Asie du Sud-Est.
 La chanteuse s'appelle UA. C'est une bonne chanteuse.



UA ううあ やしのみ 椰子の実

 Pas mal de parents et de profs veulent désormais que ces chansons shôka n'apparaissent plus dans le manuel scolaire, parce que les paroles sont trop difficiles pour les enfants selon eux. Il y a quelques mois, une petite fille de douze ans a écrit au journal Asahi Shinbun, pour dire qu'elle voulait bien apprendre les mots difficiles par ces belles chansons... Bien que ce ne soit que des produits de la politique musicale du gouvernement impérial d'avant-guerre, je pense qu'il faut transmettre ce patrimoine culturel à nos enfants.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,

Merci pour cet article passionnant. J'ignorais tout du shoka et du dôyô.

On y ressent parfois des influences occidentales (ou une évolution parallèle?).

fisaxij a dit…

Bonjour,

C'était plus les imitations que les influences pour ces compositeurs, et on compte pas mal de shôka qui empruntent la mélodie occidentale. Vous connaissez probablement Hotaru-no hikari, sur la mélodie écossaise de Auld Lang Syne (Ce n'est qu'un au revoir)?

Je peux vous conseiller l'anthologie de shôka avec partitions simples, 日本の唱歌 Nippon-no shôka, de Kindaïchi Haruhiko et Anzaï Aïko (Kôdansha bunko). Ce linguiste Kindaïchi fils a fait les études de la musique quand il était jeune.