mardi 22 septembre 2009

Grande guerre (1. La mouche et la corne) (poème en prose de OGATA Kaménosuké)

    Depuis le début de mois de mai, il ne faisait que froid avec pluie et orage, et je passai tout le dimanche dans mon lit. Sans me laver le visage, je relus le journal d'hier, je bus le thé d'hier directement de la théière, et quelques moments après, lorsque le ciel s'assombrissait et qu'on allumait la lumière, mon col et mes genoux eurent un petit froid, et je sentis quelque chose comme une ombre terne, j'eus envie d'uriner à nouveau, mais je restai assis à jamais comme si j'étais trop fainéant pour me lever. Ce n'est pas la mouche dans les toilettes qui me reprocherait (même la mouche dans les cabinets est au courant que la grande guerre s'est éclatée), mais j'avais un peu honte d'être au lit toute la journée, et je sortis dans le jardin pour satisfaire le petit besoin.
    Le ciel à l'ouest était clair et transparent dans la verdure fraîche du jardin, il me sembla que quelque chose comme une abeille volait encore par là, et que les fleurs de pissenlit flottaient sur l'herbe. « Souffle dans la corne ! » C'est maintenant qu'il faut qu'elle retentisse du loin, du ciel clair et transparent de l'ouest ! Mais elle ne sonna pas pour moi qui bombais la poitrine, et le cheval ailé ne vint pas pour m'accueillir, moi qui ne mettais même pas de ceinture.

Septembre 1942

OGATA Kaménosuké est un poète maudit japonais (1900-1942).


samedi 12 septembre 2009

Deux ou trois choses que je sais de l'éducation au Japon

    L'OCDE vient de publier le rapport annuel sur l'éducation (Regards sur l'éducation 2009). Selon le tableau « Dépenses au titre des établissements d'enseignement en pourcentage sur le PIB, selon la provenance du financement », les dépenses publiques au Japon sont de 3,3 %, tandis que la moyenne est de 4,9 %, ce qui situe le Japon en avant-dernier du classement des pays membres, et ce, juste avant la Turquie (2,9 %) (la France, 5,7 % ; la Belgique, 5,9 % ; le Canada, 4,8 %). L'empire du soleil levant (en déclin) se trouvait à la fin des 30 pays l'année dernière, mais le pourcentage a diminué de 3,4 % à 3,3 % par contre.
    En revanche, le tableau « Part relative des dépenses publiques et privées au titre des établissements d'enseignement » montre que le taux des dépenses des ménages est de 21,8 %, ce qui le situe en deuxième, juste après la Corée du Sud (31,5 %) (la France, 6,8 % ; la Belgique, 4,5 % ; le Canada, 11,7 %). Le pourcentage des dépenses publiques sur le PIB est de 4,5 % pour la Corée du Sud. Le taux qu'occupent les dépenses publiques n'est que de 66,7 % au Japon, car les autres entités publiques que les ménages prennent 11,5 % (la France, 90,9 % ; la Belgique, 94,4 % ; le Canada, 73,8 %).
    La taille moyenne des classes à l'enseignement primaire est de 28,2 élèves au Japon, toujours le deuxième après la Corée du Sud (31,0 élèves), alors que la moyenne des pays membres est de 21,4 (la France, 22,6 élèves ; la Belgique, 20,8 élèves). Pour le premier cycle de l'enseignement secondaire, une classe est de 33,2 élèves au Japon, et la moyenne de l'OCDE est de 23,9 élèves. Et je dois dire que ces chiffres ne représentent pas du tout la réalité, vu qu'il y a pas mal de régions dépeuplées au Japon. Dans les villes ordinaires, une classe peut atteindre jusqu'à 40 personnes, 45 au pire.
    Ces chiffres ne veulent pas forcément dire que le niveau de l'éducation au Japon est bas, mais au moins que le gouvernement ne montre aucun enthousiasme pour l'éducation, ce qui constitue probablement une raison de la défaite du Jimintô (PLD) à la dernière élection.
    Mais ce même Jimintô a proposé pendant la campagne électorale d'établir une bourse publique pour les étudiants qu'ils n'ont pas besoin de rembourser. Jusqu'à aujourd'hui, il n'y a pas de bourse publique pour étudiants qui soit allouée. Moi qui ai fait les études jusqu'au troisième cycle dois rembourser une somme énorme. Ce système peut engendrer un phénomène curieux. Certains étudiants restent à l'université pour continuer la recherche, tout simplement parce qu'ils ne veulent pas rembourser la bourse, car les enseignants et les chercheurs dans les organismes d'enseignement n'ont pas besoin de la rendre. Ainsi peut-on rencontrer des chercheurs sans motivation. Pendant ces vacances d'été, j'ai dû rembourser 466.000 yens (3.500 euros) en une fois comme la somme annuelle, et on me prévient encore que j'aurai un autre avertissement parce que je suis toujours en retard (on ne me propose même pas la facilité). Ce qui est vraiment ahurissant est que ce n'est pas l'organisme de bourse lui-même qui recouvre le remboursement, mais il confie ce travail au sous-traitant créancier. Donc, on est traités comme les endettés ordinaires.

    La part qu'occupent les dépenses des ménages dans l'éducation est traduite d'une part par les frais scolaires relativement plus chers que les autres pays, d'autre part par une certaine passion pour l'enseignement privé, surtout dans les zones urbaines. Même si elle ne touche qu'un nombre limité des foyers au Japon, le montant de la dépense pour chaque ménage peut être assez important.
    Comme il n'y a pas de diplôme équivalent au baccalauréat au Japon (comme dans beaucoup d'autres pays d'ailleurs), une personne qui finit les études secondaires doit se préparer au concours assez dur si elle continue à faire ses études. Par conséquent, un certain nombre de parents veut épargner cette peine aux enfants. Dans ce cas-là, ils choisissent pour leur enfant un lycée privé qui assure l'admission presque automatique à l'université privée du même groupe. Alors pourquoi pas commencer par le collège, ou l'école primaire, ou même par l'école maternelle ?
    Le concours à l'école maternelle pour assurer l'avenir d'un enfant jusqu'à ce qu'il ait la licence à l'université, c'est complètement grotesque. Et après les études supérieures, ces étudiants sont curieusement prisés par les entreprises. (Pas si curieux que ça en fait, car ces groupes scolaires ont des liens avec les grandes entreprises.) D'ailleurs, quel sens y a-t-il là-dedans ? Pour le groupe scolaire, ça rassure le paiement des frais scolaires importants pendant au moins 13 ans, ce qui est intéressant pour lui. Mais si cela tranquillise les parents, quid de l'enfant ?
    Cet enfant voit les autres faire les efforts pour réussir à l'école, tandis qu'il peut se limiter à obtenir une note pas trop mauvaise pour accéder à un niveau supérieur. Il ne se sent pas le besoin de se cultiver, et il n'est pas rare qu'il ne lise aucun livre. Si ce n'est qu'une question de culture générale, ce n'est pas trop grave. Le problème est que, même s'il ne fait pas d'efforts, il peut obtenir ce qu'il veut (ou ce qu'il est censé vouloir). En un mot, ce système peut implanter à l'enfant une idée tordue de la vie. Peut-être qu'elle n'est pas complètement fausse, car il peut réussir dans la vie comme ça, au moins au Japon. Une fois, dans les années 80 ou 90, un président du Keidanren (un Medef japonais) aurait dit avec un cynisme ahurissant, « Je ne veux pas que les étudiants fassent sérieusement leurs études à l'université. Qu'ils n'apprennent rien, et qu'ils obtiennent seulement le diplôme. Et après, c'est nous qui nous occupons de leur éducation. » Pour ces entreprises, ces fils et filles à papa ignorants ne sont que parfaits. Ce sont de parfaits Japonais, même si ce ne sont pas des Japonais parfaits.
    Donc il est bien possible que vous rencontriez des Japonais très bien diplômés mais étrangement ignorants (certains pourraient être chercheurs ou même universitaires). En principe, ce sont des personnes dociles. Ils peuvent être très gentils et sympathiques. Mais ils peuvent être également fourbes quand ils veulent obtenir ce qu'ils veulent, dans le travail comme dans la vie. Car au fond, ils n'ont pas appris ce qu'ils doivent faire pour obtenir ce qu'ils désirent. Et souvent, eux-mêmes ne sont pas conscients de cette fourberie.
    L'exemple du concours de l'école maternelle est grotesque et exceptionnel, mais je crois que c'est déjà un malheur pour un enfant d'avoir les parents qui veulent lui épargner les efforts pour le concours pour être admis à l'université au Japon. (Bien sûr que tout le monde ne va pas à l'université, mais lui, il y va, et sans aucun effort.) Parce qu'il ne peut pas apprendre ce qu'il doit apprendre pendant son adolescence. C'est mon avis. (Je ne parle pas de l'esprit de compétition. Mais de quelque chose de plus important. Quelque chose qu'une personne qui gagne à la compétition sans effort ne peut apprendre.)

Note : On peut télécharger ce rapport « Regards sur l'éducation 2009 ». Je l'ai fait, mais il est de 500 pages ! Donc, l'analyse de la première partie de cet article n'est pas la mienne, je l'ai empruntée au site d'Asahi Shinbun. En revanche, la seconde partie n'a rien à voir avec ce rapport.