dimanche 30 novembre 2008

Le bronzi

 Un patineur français qui s'appelle Yannick Ponsero, que je ne connaissais pas, était sur le gala de NHK Trophy tout à l'heure. Le sous-titre disait que la musique était intitulée Le Bronzi (en lettres latines). En fait, c'était Les Bronzés lol Est-ce que la NHK n'avait que la BO en CD italien? ;-p Il est très probable que le sous-titreur n'a rien compris à ce qu'il a entendu comme titre, et il a mis sur l'écran l'orthographe la plus probable selon lui, tout en ne sachant pas de quelle langue il s'agissait. Il aurait dû l'écrire en katakana tout bonnement...
 Peut-être que ce Yannick, dont la prestation faisait référence aux films, ne savait pas du tout que les Japonais ne les ont jamais vus. (Patrice Leconte est le réalisateur de Monsieur Hire pour eux.) Et l'accueil du public japonais était bien chaleureux. Je ne crois pas qu'ils comprenaient la moindre chose de ce que Ponsero trouvait drôle dans sa présentation, mais tout le monde était apparemment content. Même le présentateur ne voyait pas pourquoi le patineur était au ski et puis en bermuda, mais son commentaire était "Il saisit le coeur du public!" Tout le monde il est beau, il n'y a plus de frontières pour les cultures... Et personnellement, moi, j'ai bien du mal avec ces films trop franco-français.

vendredi 21 novembre 2008

Le premier ministre illétré

 Le taux d'opinions favorables pour le premier ministre Asô Tarô baisse considérablement depuis une semaine. Il est maintenant moins de 40%. Mais pourquoi? Le peuple a découvert avec ahurissement qu'il ne lisait vraiment que des mangas. Il le disait ouvertement, mais je croyais qu'il le prétendait pour gagner de la popularité auprès des jeunes. Mais on sait maintenant qu'il ne mentait nullement en le disant. La preuve est qu'il ne sait pas lire les caractères chinois... Et cela n'a vraiment rien à voir avec la ségolénitude ou la sarkozytude.
 Voici la liste des mots dont il a donné publiquement la mauvaise lecture.
踏襲 (suivre le pas) (lecture correcte) とうしゅう tôshû - (lecture de Manga Asô) *ふしゅう *fushû
詳細 (détails) しょうさい shôsaï - *ようさい *yôsaï
未曾有 (inouï) みぞう mizoü - *みぞうゆう *mizôyû
怪我 (blessure) けが kéga - *かいが *kaïga
有無 (existence) うむ umu - *ゆうむ *yûmu
措置 (mesures [à prendre]) そち sochi - しょち shochi (処置)
頻繁 (fréquent) ひんぱん hinpan - はんざつ hanzatsu (煩雑)
 Ce que les gens ne disent pas dans la consternation, c'est que toutes ces fautes sont "intéressantes", très variées. C'est vraiment l'anthologie des fautes!
 La faute la plus grave est le premier exemple. La lecture on'yomi (lecture fidèle à l'ancienne prononciation chinoise en principe) du kanji 踏 est , tandis que la kun'yomi (lecture-traduction en japonais) est fumu. Il est vrai qu'on écrit 踏む (le kanji + le hiragana mu) pour le verbe fumu, mais la lecture du caractère ne donne jamais fu tout seul, car ce son fu ne veut rien dire ainsi. C'est le mot fumu (mettre le pied dessus) qui est la traduction du caractère. On ne fait pas la soustraction! C'est une faute au niveau écolier. (La composition générale du mot à deux kanji est on'yomi + on'yomi.)
 On pourrait hasarder une interprétation pseudo psychanalytique. Ce n'est qu'une erreur d'un enfant pré-ado en soi, mais cela ne laisse pas de faire remarquer qu'il y a un autre mot fushû en japonais. Asô a lu le manuscrit préparé par un haut fonctionnaire sur lequel était écrit que le gouvernement japonais actuel "suivait le pas" du discours de l'ancien ministre socialiste Murayama, qui a reconnu que le Japon a envahi l'Asie pendant la première moitié du 20e siècle. Le mot fushû (腐臭) veut dire "l'odeur pourrie". Il est bien possible que l'inconscient d'Asô réac, qui n'est pas meilleur que Tamogami, lui ait fait dire que le discours de Murayama sentait la pourriture.
 Le deuxième exemple avance d'un niveau. C'est une faute de collégien. Vive le progrès! Souvent la partie composante du kanji montre la prononciation. La "clef" du caractère 詳 est 言, et la partie composante est 羊. Quand vous ne savez pas comment lire un kanji, vous pouvez donnez la lecture on'yomi de la partie composante. C'est une astuce qui marche assez bien. Mais dans ce cas-là, la on'yomi de 羊 (), n'est pas la lecture correcte de 詳 (shô). Pas de chance, Tarochan!

 Les exemples de 未曾有, 有無 et 怪我 relèvent d'une autre difficulté très mal expliquée dans l'enseignement de la langue japonaise au Japon, ainsi que dans les manuels de japonais destinés aux étrangers. Un kanji possède assez fréquemment deux on'yomi: go'on (呉音) [le son du Wu] et kan'on (漢音) [le son du Han]. Au huitième siècle pendant l'ère de Nara, l'Etat naissant du Japon a envoyé des délégations en Chine. Et ces envoyés ont ramené au Japon la nouvelle prononciation de chinois, voire la lecture "correcte". Celle-ci est appelée kan'on, et l'ancienne prononciation, "lecture provinciale" pour ainsi dire, go'on. La kan'on a supplanté la go'on par les efforts de l'Etat, mais l'ancienne lecture est restée dans les mots élémentaires ou bouddhiques. La lecture kan'on de 有 est , et go'on, u. Il est vrai que la lecture de ce kanji est généralement , mais ces deux mots 未曾有 et 有無 sont des mots d'origine bouddhiques. Pas de chance, encore une fois! C'est pareil pour 怪我, la kan'on de 怪 est kaï, et la go'on, ké.
 Le cas de deux derniers mots de la liste est complètement différent des exemples précédents. Asô a simplement confondu les mots. 措置 (sochi) et 処置 (shochi) (traitement) sont des mots très ressemblants qui portent à la confusion, un peu comme conjoncture et conjecture. Donc, je dirai que c'est la faute la moins grave. En plus, même si ces mots ne sont pas remplaçables, ce sont des synonymes, tandis que conjoncture et conjecture ne le sont pas.
 Mais l'autre cas 頻繁 (hinpan) et 煩雑 (hanzatsu), dont il est difficile de relever une moindre ressemblance, ne peut être expliqué qu'au niveau psychanalytique. Même si le mot 頻繁 était sur le manuscrit, ce n'est pas du tout une faute de lecture, mais un lapsus révélateur. Le mot 頻繁 veut dire "fréquent", mais 煩雑 "fastidieux". Ce que Asô dit dans la réunion pour l'amitié sino-nippone, était comme suit: "la visite réciproque des dirigeants des deux pays est de plus en plus fastidieuse" au lieu de "fréquente". C'est assez lamentable que les journalistes japonais ne parlent que d'une faute de lecture, sans y voir aucunement l'inconscient d'Asô.
 En tout cas, c'est très curieux que les Japonais généralement indifférents à la politique font baisser le sondage parce que le premier ministre ne sait pas lire les kanji.

mardi 11 novembre 2008

Le Japon est-il meilleur que l'Iran?

 Je crois que c'est Emmanuel Todd qui a dit que l'Iran était un pays paradoxal. Il est vrai que le régime est archaïque, mais le niveau de la démocratie de ce pays est plutôt avancé. Au Japon, c'est le contraire, ou bien la même chose. On sait (ou on croit) que c'est bien un pays démocratique, mais les autorités sont souvent dans l'obscurantisme misérabilissime.
 Le chef de l'armée de l'air Tamogami a été licencié parce qu'il a publié un essai "révisionniste". Ce terme est de moi, car les Japonais normaux n'ont pas la capacité d'appeler un chat un chat. Cet écrit est unanimement qualifié de "différent de l'opinion officielle du gouvernement", comme si tous les journalistes voulaient cautionner l'avis de ce capitaine, qui dit qu'il n'est pas vrai que le Japon a envahi l'Asie dans la première partie du vingtième siècle.
 J'ai téléchargé le fichier PDF de cet écrit, mais je ne l'ai pas encore lu. Mais j'ai lu le résumé un peu plus précis que celui qui avait été publié au lendemain de son limogeage. Sa thèse me fait bien rire. C'est bien une thèse de complot dont on a annoncé la mort il y a très longtemps. Tamogami parle du complot des communistes. Tchang Kaï-Chek a été manipulé par les espions communistes au sein du Guomindang, ainsi que Monsieur Roosevelt! Pour la Pearl Harbour, le Japon a été piégé par les communistes par le biais du président américain. Mais bien sûr...
 Aujourd'hui, on l'a interrogé à la Chambre Haute pour qu'il explique son avis. Il l'a défendu sans nullement s'excuser bien sûr, dans cet empire des excuses, et il a voulu que le Japon réforme la constitution pacifiste qui rejette la guerre.
 Et est-ce que c'est le tollé général? Mais pas du tout! Plusieurs sénateurs du Parti Libéral-Démocrate disent "Je ne vois pas où est le mal de l'opinion de Tamogami". Est-ce qu'ils sont conscients de ce qu'ils disent? Roosevelt, pantin des communistes? Les Américains n'étaient-ils pas vos amis? Etes-vous conscients de votre statut de sénateurs? Franchement, ça m'inquiète.
 (Par contre, je suis éberlué de l'indulgence des dirigeants étatsuniens. Ils savent probablement très bien que ces Japonais puérils ne savent pas du tout ce qu'ils disent.)

Deux poèmes de HAGIWARA Sakutarô

Visage malade au fond de la terre

Au fond de la terre surgit un visage,
Un visage d'un malade solitaire.

Dans les ténèbres au fond de la terre,
Doucement poussent les tiges d'herbes,
Apparaissent les nids de rats,
Se mettent à trembler les cheveux innombrables,
Qui s'y mêlent,
Poussent les racines fines des bambous verts,
Elles poussent,
Et elles paraissent bien funestes,
Comme si elles fumaient,
Vraiment bien funestes.

Dans les ténèbres au fond de la terre,
Surgit un visage d'un malade solitaire.

De Hurler à la lune (1917)


(Je désire aller en France)

Je désire aller en France,
Mais la France est trop loin.
Du moins prendrai-je ma nouvelle veste,
Et partirai en voyage sans destination.
Tout seul, je penserai aux jolies choses
M'appuyant à la fenêtre bleue
Quand le train passe dans la montagne.
A l'aube du mois de mai,
Comme veut le cœur où poussent les jeunes herbes.

Du Recueil des morceaux au cœur simple (1925)


HAGIWARA Sakutarô (1886-1942) est un poète japonais, généralement considéré comme l'innovateur de la poésie japonaise moderne. Son premier recueil de poèmes Hurler à la lune (1917) a été mis en indexe à cause de son immoralisme. Son poème sans titre qui commence par les mots "Je désire aller en France" reste fortement gravé dans la mémoire et l'inconscient de tous les Japonais francophiles.

vendredi 7 novembre 2008

Histoire d'un virtuose (nouvelle de NAKAJIMA Atsushi)

    NAKAJIMA Atsushi (1909-1942) est un romancier japonais, qui était doué pour la réécriture des contes anciens de l'Orient. On connaît d'autres écrivains qui sont connus pour avoir tenté le même genre, AKUTAGAWA Ryûnosuké (1892-1927) et DAZAÏ Osamu (1909-1948), par exemple. Mais différemment d'Akutagawa moraliste et Dazaï humoriste, la modernisation de Nakajima fait plutôt penser aux nouvelles intellectuelles de Borges et de Michel Tournier. Je pense qu'il aurait pu être un Borges japonais s'il n'était pas mort aussi tôt (à cause d'asthme). Je ne sais si je suis le seul à l'imaginer. C'est un écrivain que les Japonais apprennent au lycée, mais curieusement inconnu à l'étranger. Toujours moins connu qu'Akutagawa et Dazaï même au Japon, je suis néanmoins sûr que Nakajima est le meilleur du genre. Ma traduction ne reflète nullement l'élégance de son style (très pince-sans rire pour cette nouvelle).
    L'Histoire d'un virtuose est une fable dont la moralité est très difficile à trouver. Je ne la saisis toujours pas. Le manuel scolaire préfère d'autres œuvres plus faciles à comprendre, mais je pense que celle-ci est la meilleure.
    Comme la nouvelle est fondée sur une histoire chinoise, j'ai transcrit les noms de lieux et de personnages à la façon chinoise.



Histoire d'un virtuose (nouvelle de NAKAJIMA Atsushi) (1942)

    Un dénommé Jichang résidant à Handan, la capitale du Zhao, prit la décision de devenir le meilleur tireur d'arc du monde. Au bout de recherche d'une personne qui fût digne d'être son maître, il ne put imaginer qu'il y aurait un autre homme qui émulât le champion Feiwei pour le tir à l'arc présentement. On disait que c'était un virtuose qui ne manquait jamais à transpercer une feuille de saule pleureur à la distance de cent pas. Jichang fit un long voyage pour lui rendre la visite et frappa à sa porte.
    Feiwei ordonna à son nouveau disciple d'apprendre premièrement à ne pas cligner des yeux. Jichang rentra chez lui, se mit en dessous du métier à tisser de sa femme, et se coucha sur le dos. Son idée était de regarder fixement sans clignement les battements rapides de pieds sur les pédales, à fleur de ses yeux. Son épouse fut très surprise, ignorant la raison. Elle lui dit qu'il lui était déjà gênant que son attitude ridicule fût regardée par son mari de l'angle bizarre. Il gronda sa femme qui rechignait, et la força à continuer de tisser. Jour après jour, il multiplia l'exercice pour ne pas cligner dans cette position risible. C'est dans deux ans qu'il ne battit plus jamais ses paupières, même si les pédales qui bougeaient sans cesse frôlaient les cils. Il sortit enfin du dessous du métier. Il était déjà à tel point qu'il ne clignait plus même si une pointe aiguë de poinçon allait piquer ses yeux. Si des flammèches se jetèrent dans ses yeux à l'improviste, ou qu'une colonne de cendres apparût soudain devant lui, il ne clignota jamais. Ses paupières avaient déjà complètement oublié l'emploi de leurs muscles pour les fermer, et ses yeux restèrent très grands ouverts même quand il était dans le sommeil profond. Enfin, au moment où une petite araignée tissa une toile entre ses deux cils, il eut finalement confiance en soi, et annonça cette nouvelle à son maître Feiwei.
    Après l'avoir l'entendu, celui-ci lui dit : « Ce n'est pas suffisant pour t'enseigner le tir, seulement parce que tu ne clignes plus des yeux. Prochainement, apprends à regarder. Lorsque ta façon de regarder sera mûre, par laquelle tu vois le petit comme le grand, et que tu vois le minuscule comme l'énorme, tu pourras revenir me l'annoncer. »
    Jichang retourna chez lui à nouveau, trouva un pou d'un point de couture de son maillot, et le lia à son cheveu. Ainsi, il le pendit à la fenêtre donnant sur le sud, et il décida de passer le temps en le regardant toute la journée. Il contempla le pou pendu à la fenêtre tous les jours. Au début, ce n'était qu'un pou bien sûr. Il resta un pou dans deux ou trois jours. Mais après une dizaine de jours, il lui semblait que ses yeux le voyaient vaguement juste un petit peu plus grand, on ne sait si c'était à cause de son imagination. À la fin du troisième mois, le pou eut la taille d'un vers à soie sans nul doute à ses yeux. Le paysage derrière la fenêtre avec la bestiole pendue changea au fur et à mesure. Le jour du printemps qui brillait doucement se transforma en soleil d'été féroce sans qu'on s'en aperçût. À peine que les oies sauvages eurent traversé le haut du ciel transparent d'automne, déjà la neige fondue tomba de la voûte grise et glaçante. Jichang continua à regarder avec patience le petit insecte, phtiraptera, prurigineux, pendu au bout du cheveu. Déjà trois ans coulèrent à mesure que le pou était substitué des dizaines de fois. Un jour il s'aperçut soudain que ses yeux voyait la bestiole à la taille d'un cheval. Le mot « ça y est ! » s'échappa de sa bouche, et il sortit de la maison. Il ne pouvait croire à ses yeux. L'homme était une grande tour. Le cheval était une montagne. Le cochon ressemblait à une colline, et le coq un château. Jichang, transporté de joie, rentra chez lui, refit face au pou de la fenêtre, encocha une flèche de l'armoise du nord à l'arc fait de la corne du Yan et la tira ; la flèche transperça bien précisément le cœur du pou, et le cheveu qui le liait ne fut même pas coupé.
    Jichang se rendit chez son maître pour lui annoncer la nouvelle. Feiwei battit ses pieds et sa poitrine, et le complimenta pour la première fois en lui disant « Bravo ! ». Et il commença immédiatement à apprendre à Jichang tous les arcanes du tir à l'arc.
    Profitant des cinq ans passés pour l'exercice des yeux de base, la technique de Jichang fit des progrès étonnamment rapides.
    Au dixième jour après le début de la transmission de secrets, Jichang essaya de tirer sur les feuilles de saule pleureur à la distance de cent pas, et il ne manqua jamais à en transpercer une. Au vingtième jour, il tira avec un arc puissant, une coupe pleine d'eau sur son coude droit. Non seulement il n'y eut aucune déviation pour la cible, mais l'eau dans la coupe ne bougea point. Après un mois d'entraînement, il tenta un tir rapide avec cent flèches. La première atteignit le but, et la deuxième qui la suivit s'enfonça dans le fût de la première sans faille, et puis la pointe de la troisième pénétra aussitôt fermement dans la hampe de la deuxième. Flèche pour flèche, tir pour tir, comme le fer de la suivante s'enfonça toujours dans le fût de la précédente, les flèches ne tombèrent jamais par terre. En un moment, cent flèches s'enchaînèrent comme une seule flèche, et il sembla que le dernier fût qui continuât du but d'un trait droit touchât encore la corde. Même Feiwei, le maître qui le regardait à côté de lui se dit « Parfait ! » malgré lui.
    Deux mois après le début, Jichang, ayant querelle avec sa femme, voulut la menacer, encocha une flèche de Wuhao à l'arc de Qi et Wei, tendit la corde et tira sur ses yeux. La flèche coupa trois cils et s'envola au diable, mais la femme visée ne s'aperçut de rien, et continua à jurer contre lui sans cligner des yeux. Peut-être la vitesse de flèche et l'exactitude de visée par son art sublime atteignirent-elles ce niveau.



    N'ayant plus rien à apprendre de son maître, Jichang eut soudainement une mauvaise pensée un jour.
    Il réfléchit alors tout seul pour arriver à cette conclusion : « Maintenant il n'y a plus que mon maître Feiwei qui puisse être mon adversaire pour le tir à l'arc. Afin que je sois le premier virtuose du monde, il faut l'éliminer à tout prix. » Pendant qu'il cherchait l'occasion à son insu, il rencontra Feiwei qui approchait tout seul à pied du loin, par hasard dans le champ un jour. Aussitôt que  Jichang, déterminé sur-le-champ, visa en saisissant une flèche, Feiwei, sentant le danger non moins rapidement, répondit avec son arc. Les deux tiraient l'un sur l'autre, et les flèches se heurtèrent chaque fois à mi-chemin, et tombèrent par terre. C'est probablement parce que leurs arts étaient l'un et l'autre du registre divin, que les traits tombés ne provoquèrent pas la moindre poussière. Or, lorsque les flèches de Feiwei furent épuisées, il restait à Jichang encore une dernière. Dès qu'il l'eut tirée avec l'entrain triomphant, l'autre coupa la branche d'une rose sauvage d'à côté, et abattit fort la pointe avec le bout de l'épine. Un remords moral, qui n'aurait jamais vu le jour s'il avait réussi, jaillit soudain à ce moment dans le cœur de Jichang, qui comprit que son espérance désespérée ne se réalisât pas enfin. Quant à Feiwei, le soulagement pour avoir pu sortir du danger et l'amour-propre pour son propre art firent oublier complètement la haine pour son ennemi. Ils accoururent l'un à l'autre, s'embrassèrent dans le champ, et les belles larmes d'amour maître-disciple ne s'épuisèrent pas pendant un moment. (Il est hors propos de considérer cette affaire avec les mœurs d'aujourd'hui. Quand le seigneur Huangong du Qi, connu pour sa gastronomie, demanda à goûter une rareté qu'il n'avait jamais mangée, son chef cuisinier Yiya lui servit son propre fils cuit à la vapeur. Garçon à seize ans, le premier empereur du Qin, malmena la favorite de son père trois fois dans la nuit du décès de celui-ci. Toutes ces histoires datent d'une telle époque.)
    Même s'enlaçant l'un l'autre en larmes, Feiwei qui croyait que ce disciple était très susceptible de reprendre cette intrigue, pensa qu'il n'y avait pas mieux que de détourner sa pensée en lui donnant un nouveau but. Il dit à cet élève dangereux. « Je t'ai transmis tout ce que je pouvais t'apprendre. Si tu veux sublimer davantage les arcanes de cet art, va à l'ouest gravir la route escarpée des Taihang, jusqu'au sommet du mont Huoshan. Là doit se trouver le maître Ganying, le génie de cet art, tout exceptionnel dans ce bas monde. Par comparaison avec l'art de ce maître, nos tirs ressemblent au jeu d'enfants. Je crois qu'il n'y a plus que le maître Ganying à présent, que tu dois suivre comme ton maître. »



    Jichang partit à l'ouest immédiatement. Les mots de son maître qui disaient que leurs jeux à eux n'étaient pas mieux que ceux d'enfants pour cette personne mettaient son amour-propre en épreuve. Si c'était vrai, son désir d'être le meilleur du monde serait encore loin d'être réalisé. Dans la hâte de le rencontrer le plus tôt possible pour jouer contre lui et découvrir si son tir ressemblait à un jeu d'enfants, il se précipita sur la route. Il déchira les plantes des pieds, égratigna les jambes, gravit le rocher dangereux, traversa la route de planches, et arriva enfin au sommet destiné dans un mois.
    Celui qui accueillit Jichang excité avait des yeux aussi doux que le mouton, mais c'était un vieil homme tout sénile. Son âge devait dépasser non moins de cent ans. Il traînait sa barbe blanche sur terre en marchant, d'autant que son dos courbait.
    Jichang annonça la raison de son arrivée précipitamment à haute voix, de peur qu'il ne fût sourd. Dès qu'il lui eut demandé ce qu'il penserait du niveau de son art, tout pressé, il n'attendit plus sa réponse, il détacha soudainement l'arc puissant de saule entouré de chanvre de son dos et le prit à sa main. Et puis, il encocha une flèche de Shijie, et visa la volée d'oiseaux migrateurs qui passait en haut dans le ciel à propos. Réagissant à la corde, cinq grands oiseaux tombèrent en taillant le ciel d'azur immédiatement après un seul tir.
    Le vieil homme dit « Il paraît que tu as la base » en dessinant un léger sourire. « Mais ce n'est qu'un tir de tir au fond, je ne pense pas que tu connaisses déjà le tir de non-tir, mon enfant. »
    Précédant Jichang vexé, le vieil ermite l'amena sur la falaise escarpée qui était à environ deux cents pas de là. Sous leurs pieds était un abîme littéralement inabordable, qui était d'une telle hauteur qui ferait sentir le vertige si on se hasardait à jeter un seul œil à la rivière qu'on voyait comme un fil infiniment en bas. Le vieil homme courut aisément sur le rocher fragile qui saillissait presque dans l'air de la falaise, et dit à Jichang en se retournant. « Qu'est-ce que tu en dis  ? As-tu la bonté de me montrer ce que tu as fait tout à l'heure sur ce rocher ? » Jichang ne pouvait plus se reculer. Au moment où il mit son pied sur le rocher en relayant le vieil homme, la pierre trembla légèrement d'un coup. Quand il allait encocher la flèche avec tout son courage, un caillou tomba du bout de la falaise au même instant. Lorsqu'il suivait sa trace avec ses yeux, il s'accroupit sur le rocher malgré lui. Ses jambes tremblotaient, et la sueur coulait jusqu'aux chevilles. Le vieil homme lui tendit la main en riant et le fit descendre du rocher, sur lequel il monta à son tour, et lui dit « Bon, je vais te montrer ce que c'est que le tir. » Bien que le cœur battît et qu'il eût encore le visage pâle, Jichang remarqua tout de suite : « Mais qu'est-ce que vous faites de l'arc ? Où est votre arc ? » Le vieil homme n'avait rien dans ses mains. « Tu dis l'arc ? Tant que tu as besoin de l'arc, c'est le tir de tir. Quant au tir de non-tir, on n'a besoin ni de l'arc au vernis noir ni la flèche de Sushen. »
    Juste au-dessus d'eux, un milan dessinait un cercle à l'endroit extrêmement haut du ciel. Ganying qui regardait en haut l'image aussi petite qu'un grain de sésame, encocha bientôt une flèche invisible à son arc sans forme, tira la corde comme la pleine lune et lâcha prise. Regardez, le milan tombe sur le rocher du haut du ciel, même sans battre ses ailes.
    Jichang se pétrifia. Il sentit comme s'il avait entrevu pour la première fois l'abîme de cet art.
    Il resta chez ce vieux maître pendant neuf ans. Personne ne sait à quel genre d'exercices il se livrait pendant ce temps.
    Quand Jichang descendit de la montagne après ces neuf ans, les gens s'étonnèrent de ce que son visage se fût transformé. La mine brave et altière avait disparu sur le chemin, mais il avait maintenant la physionomie comme d'un pantin, voire d'un idiot, sans aucune expression. Et pourtant, quand il rendit la visite à son ancien maître Feiwei après une longue absence, celui-ci s'exclama à la seule vue de cette figure. « C'est bien la marque du premier virtuose du monde. Les tireurs comme nous n'arrivent jamais à ses chevilles. »
    La ville de Handang, accueillant Jichang de retour, désormais le virtuose du monde, brûla d'attente pour la séance de son art sublime qui devait s'offrir bientôt à leurs yeux.
    Mais Jichang ne voulut pas du tout répondre à cette sollicitation. Ce n'était pas tout, il ne voulut même jamais prendre l'arc à sa main. Il semblait qu'il ait même jeté quelque part l'arc de saule entouré de chanvre qu'il avait emporté quand il était parti dans la montagne. Jichang répondit en languissant à une personne qui lui demandait la raison : « Le faire suprême quitte le faire, le dire suprême quitte le dire, le tir suprême quitte le tir. » « En effet », les citoyens de Handang, très compréhensifs, approuvèrent tout de suite son point de vue. Le maître du tir à l'arc qui ne tirait jamais devint leur fierté. Plus longtemps Jichang ne touchait plus son arc, et plus sa notoriété d'un homme invincible fut hautement répandue.
    Diverses rumeurs se transmirent de bouche à oreille. Toutes les nuits, minuit passé, on entend le bruissement de la corde sur le toit, on ne sait de qui. On dit que l'esprit de la voie du tir à l'arc s'échappe pendant le sommeil du corps du héros qui l'héberge, et qu'il surveille la ville pour la défendre contre les démons. Un commerçant qui habite près de chez lui se met à affirmer qu'il a bien vu Jichang sur le nuage, qui avait son arc à sa main pour une fois, rivaliser avec deux anciens virtuoses Yi et Yang Youji. Et que chaque flèche que les trois maîtres ont tirée a disparu entre Orion et Canicule en traînant la queue lumineuse bleuâtre dans le ciel de nuit. Un brigand a avoué. Il a voulu s'insinuer dans la maison de Jichang, mais comme une rafale de vent meurtrier sortit de la maison silencieuse dès qu'il eut mit son pied sur le mur et frappa le front, il est tombé à l'extérieur malgré lui. Dorénavant, les gens de mauvaise foi firent le détour, n'approchant pas à un kilomètre de sa maison, et les oiseaux migrateurs intelligents ne passèrent plus au-dessus de son habitation.
    Le virtuose Jichang vieillit au fur et à mesure tout au milieu des vagues de réputation. Il paraissait que son cœur qui avait quitté le tir déjà il y a longtemps, pénétrait de plus en plus dans l'univers tranquille et vide. Le visage comme un pantin perdit encore des expressions, il fut rare qu'il parlât, et on douta enfin l'existence de sa respiration. Le vieux virtuose raconta vers la fin de sa vie : « Je ne sais plus la différence entre Lui et Moi, entre Oui et Non. Il me semble que les yeux sont les oreilles, les oreilles sont le nez, et que le nez est la bouche. »
    Quarante ans après avoir quitté le maître Ganying, Jichang disparut sans bruit, vraiment comme une fumée. Il n'a jamais parlé du tir pendant ces quarante ans. Vu qu'il n'en a jamais parlé, il ne pouvait y avoir d'activités avec arc et flèche. Il est naturel que, comme un fabuliste, j'aimerais bien voir le vieux virtuose faire les prouesses pour bien finir l'histoire, et révéler la raison pour laquelle ce virtuose était bien l'authentique, mais d'autre part, je ne peux non plus jamais fausser les faits enregistrés dans les archives. En réalité, on ne raconte que le fait que Jichang vieilli était bien dans le désœuvrement, à part une seule et unique anecdote étrange comme suit.
    Il semble que cette anecdote raconte l'événement qui s'est passé un ou deux ans avant sa mort. Vieux Jichang répondit à l'invitation d'une connaissance un jour, et il vit un outil dans la maison. C'était bien un instrument qu'il avait déjà vu, mais il n'arriva pas à se souvenir du nom, ni de l'emploi, quoi qu'il fît. Le vieil homme demanda à l'hôte. « Quel est le nom de cette chose, et pour quel but l'utilise-t-on ? » L'hôte crut simplement que l'invité plaisantait, et sourit d'une façon malicieuse. Vieux Jichang l'interroge de nouveau au visage sérieux. Mais l'autre avait un sourire ambigu, et il paraissait intrigué de ce que l'invité avait dans sa tête. Au moment où Jichang répéta la même question pour la troisième fois à la tête sérieuse, la teinte de surprise apparut au visage de l'hôte pour la première fois. Il scruta les yeux de l'invité. Il constata qu'il ne plaisantait pas, qu'il ne délirait pas, ni qu'il n'avait pas mal entendu, il montra un effroi tout près d'une peur, et cria en bégayant.
    « Ah ! Mon maître ! Vous qui êtes le virtuose incomparable de tous les temps, avez-vous oublié l'arc ? Ah ! Même son nom et son emploi ! »
    Pendant un long temps après cet épisode, on dit que les peintres cachaient les pinceaux, les musiciens coupaient les cordes des instruments, et que les architectes avaient honte de toucher les règles dans la ville de Handang.

Traduit du japonais par FUKUI Hisashi. Je suis désolé de la traduction hâtive comme d'habitude (je l'ai finie en deux jours) et de l'absence de notes. :-(

jeudi 6 novembre 2008

 C'est un livre publié en 1939. Ceux qui savent lire le japonais s'aperçoivent qu'on écrivait de droite de gauche à l'époque. En réalité, ce n'était pas l'écriture horizontale à droite à gauche, mais une écriture verticale avec un seul caractère à la ligne (colonne). 佛蘭西 est la France en caractères chinois. Shinchôsha (新潮社) reste une des maisons les plus importantes au Japon.

 Les romanciers recueillis ici sont Anatole France, Charles-Louis Philippe, Henri Barbusse et André Gide. Le choix montre bien l'air du temps.
Voici la table (à droite) et la première page.
 Les oeuvres sélectionnées sont Thaïs et L'Affaire Crainquebille d'Anatole France, Bubu de Montparnasse de Charles-Louis Philippe, L'Enfer d'Henri Barbusse, La Porte étroite d'André Gide.
 Hors le cadre de la table, vous pouvez voir un katakana que les Japonais n'utilisent plus. C'est le ワ (wa) avec deux points sur l'épaule droite: ワ゛. Vous pouvez lire un mot カワ゛ー qui est une transcription du mot anglais cover. C'était une tentative, en vain, pour transcrire la consonne v qui n'existait pas dans la langue japonaise. Maintenant le mot est écrit カバー en général (plus rarement カヴァー).

samedi 1 novembre 2008

Consternation totale

 Le chef des "Forces d'autodéfense" (jargon voulant dire l'armée, qui n'existe pas au Japon selon la constitution japonaise) de l'air, TAMOGAMI Toshio a été limogé pour avoir écrit un essai révisionniste.
 Voici le résumé de son écrit.
Le Japon a-t-il envahi l'Asie?

 Le Japon n'a jamais envoyé l'armée de sa propre volonté ni à la péninsule coréenne ni au continent chinois. Il a obtenu les pouvoirs en Chine de façon légitime suivant les lois internationales d'après les guerres contre la Chine et la Russie,  et il y a placé l'armée pour les garder.
 Notre pays a été victime de Tchang Kaï-Chek (Jiang Jieshi), entraîné à la guerre par lui.
 Les efforts de l'armée et du gouvernement japonais ont libéré les indigènes de la tyrannie, et ont beaucoup amélioré leur niveau de vie.
 Après la Grande Guerre de l'Asie de l'Est (NdT: l'appellation "nationaliste" de la Seconde Guerre mondiale), nombre de pays d'Asie ont été libérés de l'occupation des pays "blancs" (NdT: occidentaux), grâce aux efforts du Japon qui a combattu à la guerre russo-nippone et la Grande Guerre de l'Asie de l'Est.
 Le procès de Tokyo a voulu imposer toutes les responsabilités de guerre au Japon. Cette manipulation mentale confond les Japonais. Les Forces d'autodéfense ne peuvent même pas exercer le droit d'autodéfense collective (NdT: sophisme pour permettre aux Forces d'autodéfense l'intervention à l'étranger), elles ont beaucoup de restrictions concernant l'utilisation des armes, et il est interdit qu'elles possèdent des armes d'attaque. Elles ne peuvent pas bouger à cause de trop de restrictions. A moins que nous n'étions dégagés de cette manipulation mentale, nous ne pourrons jamais parfaire le système pour défendre notre pays de notre propre force.
 Il faut reconnaître que beaucoup de pays asiatiques estiment la Grande Guerre de l'Asie de l'Est d'une façon positive. C'est une fausse accusation que notre pays ait envahi l'Asie.
 Ce crétin de Tamogami a un antécédent. Au mois d'avril, la Cour supérieure de Nagoya a prononcé que les activités des Forces d'autodéfense en Irak étaient en infraction de l'article 9 de la constitution qui rejetait la guerre. Tamogami a dit: "Si je représente l'avis de tous les soldats qui sont en Irak, je dirai "Ca ne me regarde pas!"" C'était une référence à un comique (ah non, c'est pas les Inconnus, il ne les connaît pas...). J'étais vraiment intrigué de ce qu'il n'y avait aucun tapage après ce propos, mais cette fois-ci, le ministre de la défense était prompt à la réaction.
 Cet essai de Tamogami a participé au concours "La Vraie Histoire moderne", et il a eu le grand prix (!). C'est pour cela que le scandale a éclaté. Mais qui a organisé ce concours qui donnait le grand prix à cet écrit révisionniste? C'est un groupe d'hôtellerie, très proche de l'ancien premier ministre Abé...
 Je suis vraiment ennuyé par l'indulgence de mes compatriotes envers le révisionnisme. Tout le monde dit: "On a la liberté d'expression, mais il n'est pas à la place pour pouvoir publier cette sorte d'opinion, vu que c'est un chef des Forces d'autodéfense." Mais franchement, même un prof de collège ne doit pas prononcer un tel avis révisionniste. Mais mes compatriotes tolèrent bien la liberté d'opinion des révisionnistes, à moins qu'ils ne soient de hauts fonctionnaires.