jeudi 31 janvier 2008

Le meurtre de Kanoko (poème d'ITOH Hiromi)

Le meurtre de Kanoko [1]

« Voilà la jambe. Pour connaître la période de la grossesse, un des quatre membres est le mieux approprié. Dans ce cas-ci, le foetus avait exactement quinze semaines. »

Sa taille est de trois pouces à peu près. La chose est faite de cuisse arrachée, genou, mollet, pied, et de cinq orteils.

« Des bébés sont nés vivants deux fois en une semaine. Le vagissement s’est fait entendre dans la salle où toutes les femmes voulaient calmer le désir d’avorter. »

Lorsque je lisais ce livre, ma sœur

M’a dit

J’ai fait couler un môme il y a quelques jours

Elle a fait couler un môme

Selon son vocabulaire

Le môme s’est fait couler

Félicitations

Kanoko ne s’est pas fait couler

Comme ma sœur m’a demandé

Est-ce que tu l’as déjà fait, Hiromi-chan ?

J’ai répondu

Affirmative

Mais faire couler un môme

N’est pas dans mon vocabulaire

Kanoko ne s’est pas fait couler

Moi

J’ai interrompu la grossesse d’un fœtus qui devait ressembler à Kanoko

Il eût été possible que j’aie

Un enfant vivant qui devait ressembler à Kanako

Si le fœtus qui devait lui ressembler eût grandi

Mais il ne s’agit pas de Kanoko

Félicitations de l’avoir détruit[2]

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit

J’ai déjà artificiellement interrompu la grossesse

Félicitations de l’avoir détruit

Le docteur m’a dit "Vous aurez du lait

Car votre bébé était grand"

Il me le dit mais je ne sais pas comment réagir autrement que de rire bêtement

Rire bêtement

Tout bêtement

Hi hi

Hi hi

Mais félicitations

Le lait est vraiment sorti de moi

C’était seulement à tel point que du liquide blanc bavait si je pinçais fort

Mes seins ne gonflaient pas

Ils ne démangeaient pas du tout

Ce n’était pas drôle du tout

Félicitations

Malgré tout

Il est à féliciter que le lait sort de moi

Car une chose douce qu’on peut boire

Jaillit

D’un endroit où il n’y avait rien

Car on peut grossir en la buvant

Car je sécrète

Une chose pareille

Au LAIT qu’on achète en payant

Car je la sécrète comme le pipi

Car je la sécrète comme la salive, les larmes et la sécrétion vaginale

Car le lait abondant jaillit

De mon anus de ma bouche de mon urètre de mon vagin

Ça me rend heureuse

Ça me rend joyeuse

Donc, félicitations

J’ai déjà interrompu la grossesse à la période moyenne

J’ai demandé si le bébé était garçon ou fille mais

Ce n’est pas exact de parler de bébé

Il faut dire fœtus

C’est normalement un règlement de ne pas le dire

Parce que le choc est grand

De la part du corps maternel

Le corps maternel pense

J’ai déjà eu l’intoxication de la grossesse

D’un fœtus qui ressemblait à Kanoko, garçon ou fille

J’ai déjà eu la grossesse multiple anormale

J’ai tout vu les boutons abondants dans mon utérus

Ils devraient ressembler à Kanoko comme les autres

J’ai déjà fait le cancer d’utérus

J’ai déjà fait l’ablation d’utérus et d’ovaire

J’ai déjà accouché

J’ai déjà fait l’accouchement d’absorption aux douleurs faibles

J’ai déjà fait l’hystérotomie

J’ai déjà fait la grossesse amusante

Mon utérus était content

Tout mon corps était turgescent

J’ai eu la boulimie sans pouvoir arrêter

Je pouvais me masturber sans fin

En pensant à l’accouchement

Imaginant le moment de la parturition paroxystique

Le mouvement des doigts d’une femme enceinte qui s’amuse

J’ai donc déjà allaité

Félicitations de l’avoir détruit

Six mois sont passés

Des dents poussent à Kanoko

Elle mord le mamelon et veut l’arracher

Elle cherche toujours le moment de l’arracher

Kanoko dévore mon temps

Kanoko dérobe ma nourriture[3]

Kanoko menace mon appétit

Kanoko arrache mes cheveux

Kanoko m’a exigé le nettoyage de toutes ses fèces

Je veux jeter Kanoko

Je veux jeter Kanoko sale

Je veux ou jeter ou tuer Kanoko qui arrache mon mamelon à ses dents

Je veux ou la jeter ou la tuer

Avant qu’elle ne fasse couler mon sang

J’ai déjà fait l’infanticide

J’ai déjà abandonné un cadavre

C’est facile si vous le faites juste après l’accouchement

C’est plus facile que l’avortement si vous n’êtes pas trahie

J’ai une énorme confiance en moi

Pour que je le fasse sans se faire découvrir

Je peux enterrer Kanako sans façon

Félicitations, Kanoko enterrée

Félicitations

Des coïts que je ne peux m’empêcher de faire

Dizaines de Kanoko que je ne peux m’empêcher de concevoir

Dizaines de Kanoko que je ne peux m’empêcher d’avorter

Sauf une seule

Qui est la Kanoko actuelle

Qui veut arracher mon mamelon

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit

Supplice amusant de l’enfant adopté

Meurtre amusant de l’enfant adopté

Je l’ai déjà fait

Mon propre enfant est le plus adorable

Abandon joyeux d’un enfant

Je l’ai déjà fait

Je suis la plus adorable moi-même

Félicitations félicitations

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations félicitations

Tout le monde me félicite

Médoc de Gen’ichirô-san[4]

Roses de Higuchi-san

Lapin de Kôhei-san

Ourson d’Ishizéki-san

Sac de couches de Miyashita-san

Chien de papier mâché de Shirôyasu-san[5]

Argent d’Abé-san et d’Iwasaki-san

Gâteau de Non-chan

Super 8 de Kanéko-san

Télégramme de Kozaki-san

Tout le monde me félicite

Merci merci

Kanoko contente

M’arrache le mamelon

Je veux jeter Kanoko

Dans la joie

Sans pleurs ni remords

Je veux abandonner Kanoko joyeusement à Tôkyô

Félicitations

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit

Téruko-chan

Félicitations d’avoir avorté

Mihoko-chan

Félicitations d’avoir jeté Také-chan

Kumiko-san

Félicitations d’avoir tué Tomo-kun

Mari-san

Pourquoi pas abandonner Nonoho-chan également ?

Mayumi-san

Ton fœtus était un garçon ? ou une fille ?

Riko-chan

Il est bientôt le temps de jeter Kôta-kun aussi

Que tout le monde jette

Les filles

Les fils

Qui font du bruit avec leurs dents voulant arracher le mamelon

Le mobile du suicide d’une amie “Hiromi”-san qui a sauté

Il y a trois ans à ce moment de l’année

Était

Probablement

“Le problème des hommes”

Mais il semble qu’elle ait aussi souffert des

“Champignons”[6]

C’est pour cela que “Hiromi”-san

S’est étendue

Sur le sol

Ayant sauté

En cachant soigneusement ses orteils aux “champignons” et

En mettant son jean

J’imagine encore aujourd’hui après trois ans

Deux jambes mortes et le ventre

D’une femme bien jolie de vingt-quatre ans

Bien que je ne l’aie pas vue

Deux jambes mortes et le ventre

Deux jambes mortes et le ventre

Félicitations de l’avoir détruit

Je me suis emportée malgré moi

Et j’ai frappé la tête de Kanoko (6 mois)

Avec le réveil qui se trouvait à côté

Elle a perdu son souffle

Et elle ne bougeait plus du tout

Même si je l’appelais, secouais ou frappais

J’ai donc pensé que je l’avais tuée et que j’avais fait quelque chose d’irrémédiable

J’ai eu peur

Je suis sortie

En la laissant dans cet état

Lorsque je suis retournée à peu près dans deux heures

Il me semblait qu’elle était toujours morte

Que tout son corps était couvert de fourmis

Et qu’elle s’est un peu déplacée

De l’endroit où je l’avais posée au début

Et ensuite j’ai trouvé un bébé moineau

Qui se débattait sur la route

Comme il faisait trop chaud

Je l’ai posé une fois à un endroit humide à côté de la route

En pensant que c’était mieux que de le laisser sur la route desséchée

Mais comme il s’agissait bien d’une autoroute

J’ai cru qu’elle était dangereuse puisqu’il n’y avait pas d’abri

J’imaginais qu’un endroit aux herbes

Sur la terre serait mieux

Au moins

J’ai trouvé une telle place où je l’ai posé

Et j’ai regardé de nouveau en rentrant

Félicitations de l’avoir détruit

Probablement

Avant que je ne voie le bébé moineau

Je m’étais aperçu qu’il y avait beaucoup de fourmis

Mais je ne pensais pas qu’il y ait des rapports

Tout son corps excepté sa tête

Était couvert des insectes

Et ils montaient même sur cette partie du corps sans s’arrêter

Le bébé oiseau remuait

Ses ailes sans poil qui exposaient la partie charnelle

Et il voulait s’échapper des fourmis qui étaient sur tout son corps

En criant

Nerveux

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit

Je pouvais

Toucher le bébé moineau qui n’était pas couvert de fourmis

Mais je ne pouvais toucher le bébé moineau couvert de fourmis

J’ai fui ce lieu

Sans pouvoir rien faire

Bien sûr que la responsabilité directe est à moi mais

Probablement

Ce n’est pas que j’ai peur de Kanoko

Parce que j’imagine le bébé abandonné

Couvert de fourmis

J’ai peur des fourmis innombrables

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit
Félicitations de l’avoir détruit

Poème d'ITOH Hiromi (1955), traduit par moi. Le poème date de 1985.
Ses poèmes "sexuels" ont fait un grand scandale dans le petit monde qui lisait les poèmes. J'avais une grande aversion envers elle quand j'étais adolescent, mais curieusement, elle est ma poétesse préférée depuis une dizaine d' années. Je cite ce poème pro-avortement comme un exemple des variations de la poésie contemporaine japonaise.

[1]Prénom de la fille d'Itoh Hiromi.

[2]C’est une parodie de la salutation du nouvel an.

[3] Itoh Hiromi était anorexique.

[4]TAKAHASHI Gen’ichirô : Romancier japonais. Il s’est fait connaître comme le porte-drapeau du roman pop, avec son roman Adieu, les gangsters.

[5] SUZUKI Shirôyasu (1935-) : Poète japonais. Sa série de poèmes absurdes et vulgaires en apparence, « Puapua », est une métaphore de la condition de la littérature moderne.

[6]Itoh Hiromi elle-même souffre de vilains champignons à ses orteils.



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samedi 26 janvier 2008

Le chant (poème de NAKANO Shigéharu)

Ne chante pas.

Ne chante ni des fleurs de renouée ni des ailes de libellules.

Ne chante ni du murmure de vent ni de l'odeur des cheveux de femme.

Repousse toutes les fragilités,

Toutes les irréalités,

Et toutes les langueurs.

Chasse tous les raffinements.

Chante seulement tes vrais sentiments,

Ce qui parle à ta faim,

Les pointes qui remontent à ta gorge.

Le chant qui rebondit quand tu es frappé,

Le chant qui puise le courage du fond de ta honte,

Tu chanteras ces chants en vers sévères,

Avec ta corde vocale vibrante.

Enfonce ces chants

Dans la poitrine des gens qui passent.


Poème de NAKANO Shigéharu (1902-1979), écrit en 1926, traduit par moi.


Nakano est un écrivain japonais, qui représente la "littérature prolétarienne". Il fut sénateur du Parti Socialiste après la Deuxième Guerre mondiale. Ce mouvement littéraire très important d'avant-guerre est injustement méconnu des traducteurs français. Est-ce parce que les Français attirés par la culture japonaise sont souvent bourges? "La sensibilité endurcie" de Nakagiri rime avec ce poème, souvent étudié au lycée.



Les fleurs de renouée sont appelées "riz rouge" dans ce poème. On fait le riz rouge, violet en réalité, pour les festivités et certaines occasions comme les premières règles de filles. Les enfants jouent à la dinette avec ces petites fleurs qui font penser à ce plat.

Article suivant: La gare de Shinagawa sous la pluie (poème de Nakano Shigéharu)

vendredi 25 janvier 2008

Inoxydable / Femme au suçon / Inondation (poème de SUZUKI Shiroyasu)

Tu as des sentiments envers la route asphaltée, s'agit-il donc de ton « amour » ?

Je ne veux pas l'expliquer, c'est la réponse pour l'« amour », il est gênant que tu aies désormais connu mes sentiments envers la route asphaltée, je voulais en faire l'axe principal de ma vie sans en parler, ce n'est pas une chose à dire, la question si ces sentiments porteront un quelconque fruit ou non ne concerne que la personne qui les portent


Est-ce que tu t'imagines que la femme au suçon marche sur la route asphaltée ?


Cette question telle que j'imaginais m'ennuie, une telle association d'idées ne fait qu'éloigner de moi-même, tu vas ensuite poser des questions sur le camion, et puis le soleil d'été brûlant, la pluie, le brouillard de la nuit, et encore la vie humaine, c'est bien moi qui serai perdu à cause de ces « mots » arrogants,


Tu veux dire que tu n'aimes pas les humains


Arrêtons la conversation maintenant, si dorénavant tu poses tes pieds sur la route asphaltée, je te conseille de mesurer soigneusement tes propres sentiments sur les humains, tout en étant bien conscient de tes plantes des pieds, et tu verras alors, jusqu'où tu es allé, c'est presque tout ce que je peux te dire, et tu peux comprendre ce que tu veux, mais tu sauras bien laquelle chose est l'asphalte, et alors, cette affaire sur moi t'aura été bien transmise


J'ai une expérience, je n'ai pas été amoureux de cette femme au suçon, mais j'ai été ému, et pourtant je ne pensais pas du tout que je voulais une partenaire à qui coller un suçon, ou que je regrettais qu'une telle femme ne soit pas sur place, la femme au suçon était une créature vraiment superbe, mais c'était…


C'était quoi ?


Arrêtons la conversation maintenant, tu dois savoir ce que je veux dire, mais des sentiments envers la route asphaltée ne sont pas nés en moi… ou bien, je peux penser aux traces des pneus dont on ne sait plus le propriétaire, imprimées sur la route asphaltée,


Une telle spéculation insignifiante n'a rien à voir avec moi, une telle réduction à la matière ne peut être même un jeu de mots, et même si je parlais des sentiments envers la plaque inoxydable, mes sentiments originaux ne se perdraient pas complètement, je ne veux pas expliquer, c'est une route asphaltée, je crois qu'il vaut mieux que tu arrêtes d'être intrigué par autrui,


J'admets que tu as des sentiments envers cet inoxydable, mais c'est que je veux communiquer avec beaucoup de gens, je sais que cela t'ennuie, mais c'est que le vide serait insupportable si je ne me mêlais pas entre beaucoup de gens et toi autant que possible,


Je n'ai pas de protestation à ce que tu occupes ton rôle, mais pour le moment, je ne suis tombé qu'à l'inondation dans la ville, et je recherche l'odeur acide de la sueur de femme, mais non pas une femme, je ne pense pas aux humains, on se verra s'il y a occasion, peut-être que c'est toi, l'«amour».


Poème de SUKUZI Shiroyasu (1935-), traduit par moi.


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mercredi 23 janvier 2008

Nouveaux "gallicismes" au Japon

Les Japonais empruntent de plus en plus des mots d'origine française, et ce, d'une façon plus ou moins ridicule. Je donne quelques exemples. Les mots dont il est question sont en majuscules.

1. Le SOMMELIER des légumes

C'est un métier à la mode pour les jeunes filles. Il sélectionne les légumes bio pour les consommateurs. Je ne sais si ça fait gagner. J'ai l'impression que c'est un passe-temps pour les filles à papa.

Il y a aussi SOMMELIERS des fleurs, SOMMELIERS des céréales, SOMMELIERS des serviettes (?), SOMMELIERS des thermes (conseillers touristiques?), SOMMELIERS de lessive (je ne sais pas du tout ce que c'est), SOMMELIERS des sons, SOMMELIERS des voix, SOMMELIERS de la nature, SOMMELIERS des livres, SOMMELIERS des étoiles, et SOMMELIERS des horreurs pour finir la liste. J'ai l'impression d'avoir écrit un poème surréaliste, mais je n'ai fait que citer les articles que j'ai trouvés à Google avec le mot SOMMELIER.

Je pense qu'en japonais, le SOMMELIER est quelqu'un qui donne les informations précises sur un domaine. Alors, pourquoi pas tout simplement "spécialiste"?

2. PATISSIERS

Ils font des gâteaux occidentaux. Ils prétendent être PATISSIERS, pour souligner qu'ils ont effectué un stage à Paris (Il n'y a que Paris en France pour les Japonais). Mais ils ne connaissent pas le mot "pâtisserie". Par contre, ils fabriquent des SWEETS, anglicisme cette fois. Au Japon, il ne faut pas trop se poser de questions.

3. CONCIERGE

C'est bien un métier à la mode au Japon, je vous assure. Le mot est français, ça doit être chic. Par exemple, on a un CONCIERGE des cadeaux. C'est un employé de grand magasin qui donne le conseil aux clients au rayon cadeaux. J'ai peur que les touristes japonais ne choquent les Français, en traitant tout le monde de concierges. Selon eux, quelqu'un qui se trouve à l'accueil doit être un concierge en France. Le mot "réceptionniste" n'est pas connu.

J'ai su que ce mot était à la mode au Japon avec un news qui parlait du CONCIERGE de l'hôpital. Non, on ne parle pas du tout du concierge ici, mais d'une sorte de réceptionniste à l'accueil.

C'est un synonyme du SOMMELIER en japonais ultramoderne, mais tandis que le SOMMELIER est une profession libérale, Le CONCIERGE est un employé. Je consulte Google.

CONCIERGES du bien-être (fonctionnaires, j'imagine), CONCIERGES du Mont Fuji mdr, CONCIERGES de la livraison, CONCIERGES de l'espace (c'est très space ), CONCIERGES du logement (ce sont des conseillers!), CONCIERGES des bijoux, CONCIERGES des médicaments, CONCIERGES des boulettes de riz (onigiri)...

Je suis cent pour cent japonais, mais j'avoue que quelques nuances m'échappent.

4. GRAND' VERGE

C'est un nom de restaurant français, mais je le cite, car il m'a fait tellement marrer. Mais pourquoi GRAND' VERGE? Savent-ils ce qu'ils disent? En réalité, ils auraient voulu dire "Grande Vierge", mais la transcription en caractères japonais a malencontreusement donné GRAND' VERGE (on peut mieux transcrire). Au Japon, Louis Vuitton est VITTON par exemple. De toute façon, le restaurant Grande Vierge serait toujours bizarre comme un nom de resto. Apparemment, c'est un restaurant gastronomique de luxe, non de luxure.

P.S.

Je viens de lire l'article de Wikipédia japonais. J'ai appris avec stupéfaction que le SOMMELIER des légumes est "l'appellation courante" de cette profession. Le vrai nom est VEGETABLE AND FRUITS MEISTER!!! Oui, MEISTER est un mot allemand!

lundi 21 janvier 2008

Si je me fâche (poème de NAKAGIRI Masao)

D'abord, je ne lis pas de journal, car je me fâcherais d'autant plus.

Et puis, je prends le temps de me baigner dans l'eau pas trop chaude.

J'écoute le jazz pour vider ma tête,

Ou je regarde la télé sans son.


Si je rencontre un imbécile ou un homme que je n'aime pas,

Je me dis qu'il a la tête d'un singe enrhumé.

Si je lis une critique incompréhensible,

Je pense que c'est une copie d'un étudiant.


Je vais casser sa mâchoire,

Et la mettre dans un pot.

Je déguste la glace à quatre heures du matin.

Mon coeur reprend un peu sa vie sur ma langue engourdie d'ivresse.


Je joue de mon propre biniou.

Si on y danse ou pas, je m'en fous.


Poème de NAKAGIRI Masao, traduit par moi.

Article précédent: Ressources humaines (poème de Nakagiri Masao)

samedi 19 janvier 2008

Ressources humaines (poème de NAKAGIRI Masao)

"Je vous assure que vous serez le prochain président de la succursale."

Vous le flattez en scrutant le visage.

L'interlocuteur vous sert en souriant:

"Allez, prenez ce verre pour moi."


"Ce chef de service ne sait pas comment gérer."

"On dit qu'il ne pourra pas être promu directeur général."

Comme le Japon est plein d'entreprises,

On ne parle que des ressources humaines même dans les bars.


Bientôt, vous vous séparerez pour être chacun à son compte.

Le vent de soir au début de printemps vient caresser vos joues.

L'ivresse vous quitte, et vous êtes maintenant triste.

Vous donnez des coups de pieds aux cartons vides de cigarettes et aux cailloux.


Vous aviez des rêves quand vous étiez petit.

Vous aviez de l'idéal avant d'être embauché.


Poème de NAKAGIRI Masao (1979), traduit par moi.

Article précédent: La sensibilité endurcie (poème de Nakagiri Masao)

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jeudi 17 janvier 2008

La sensibilité endurcie (poème de NAKAGIRI Masao)

Plus la vie qui me reste est courte, plus je suis irritable.

Ces jours-ci, je suis prompt à la colère.

Le bracelet de ma montre n'est plus serré.

C'est peut-être la preuve que ma sensibilité est endurcie.


Le saké est follement doux désormais.

Sciences et commerces ne sont plus dignes.

Autrefois, c'étaient les capitalistes qui serraient le cou des ouvriers,

Aujourd'hui, chacun s'étrangle comme il veut.


Pas mal de jeunes croient qu'eux seuls ont raison.

Pas mal de profs font le clin d'oeil aux étudiants comme des geishas.

Les critiques de deuxième rang n'épargnent pas de compliments

Même aux poètes qui ne fabriquent que de belles images.


Tant qu'il y a des gens qui meurent de guerre et de faim,

Je ne suivrai jamais la voie de l'élégance.


Poème de NAKAGIRI Masao (1919-1983), poète japonais, traduit par moi.

Nakagiri a notamment traduit W.H. Auden en japonais.

"La sensibilité endurcie" n'est pas du tout son meilleur poème, souvent omis de recueil, mais beaucoup d'amateurs de poèmes apprécient ce murmure amer d'un poète déçu.

La "voie de l'élégance" fait référence à Basho (1644-1694), le poète le plus connu du haïku, "épigramme élégant".

Le mot de Basho pour l'élégance est fûga en japonais. Nakagiri pense que c'est une "fuite" de la réalité, même si je ne sais s'il était conscient de ce jeu de mots latent.

Mur de plomb (poème de KAWASAKI Hiroshi)

Le mot pense
Avec les mots
Qu'il n'eût pas voulu naître mot
Il se doute
Qu'il eût voulu être mur de plomb
Et puis
Il pousse un soupir qui n'est pas un mot

Poème de KAWASAKI Hiroshi (1930-2004), poète japonais, traduit par moi

mardi 15 janvier 2008

Un nouveau tube français au Japon!!!

Chaque matin, de 8h15 à 8h30, de lundi à samedi, la chaîne nationale NHK passe un feuilleton depuis plus de quarante ans. Ce n'est pas Amour, gloire et beauté, on change de programme tous les six mois. D'avril à septembre, c'est la production de Tokyo, et d'octobre à mars, elle est d'Osaka. Ce feuilleton matinal est toujours présent dans le top 5 du palmarès d'audimat. Le trait caractéristique: le personnage principale est toujours une femme, le plus souvent jeune et jolie. Et elle est très optimiste. Elle fait un mariage heureux, et réussit dans la vie malgré tous les revers. Son mari est toujours compréhensif.

Il est intéressant de le comparer aux téléfilms américains que TF1 diffusent tous les après-midi. Là aussi, le personnage principal est toujours une jolie femme, mais elle a fait un mariage malheureux avec un homme "on ne sait pourquoi elle était mariée à cet homme macho et violent", mais elle veut recommencer sa vie avec un gentil garçon. On peut imaginer que les Américaines commettent une erreur de choix inconnue des Japonaises, qui rencontrent forcément un homme de rêve dès le début.

Mais l'heure d'émission n'est pas trop tôt? Non, car l'école commence à 8 heures et demie, et la maman n'accompagne pas les enfants jusqu'à l'école au Japon. Je ne le dis pas pour le réseau international des kidnappeurs pédophiles. Et le papa part travailler à six heures du matin (j'exagère).

Comme je n'ai pas encore trouvé de boulot fixe, je regarde cette émission tous les matins. Il fait très froid et il neige beaucoup à ma région, et curieusement on vit ici généralement sans chauffage central. Par conséquent, il faut que je reste toujours dans la salle principale avec un grand poêle. On en a plusieurs, mais le pétrole est trop cher actuellement. Je suis souvent forcé de regarder la télé, au moins de l'entendre. En tout cas, même si je ne suis pas du tout téléphage, ça ne me déplaît pas de la regarder du point de vue sociologique.

Le feuilleton qui a commencé au mois d'octobre est un peu différent d'habitude, car l'héroïne n'est pas aussi "positive" que les autres héroïnes qui continuaient à donner de l'espoir aux femmes au foyer japonaises. Elle voit toujours le côté noir des choses. Mais la mise en scène est volontairement comique pour souligner ses imaginations noires. Dans la mode de sit-com façon Ugly Betty, l'héroïne est moche, mais son intérieur est plus ou moins beau. Au Japon, on a inventé une héroïne dont les apparences sont toujours mignonnes, mais l'intérieur n'est pas toujours beau. Apparemment, cette émission est appréciée par les gens qui ne regardent pas souvent cette sorte de programmes. Mon avis est que ça se regarde comme les Frères Scott.

J'ai lu récemment un article qui disait qu'un tube est né de ce feuilleton. J'ai vu le titre de la chanson, mais je croyais ne pas la connaître, car il était traduit en japonais. Je me suis posé la question: mais a-t-on passé des chansons dans ce feuilleton? Je ne me souviens pas. Il n'y a même pas de chanson de générique! Mais cet article disait que c'était une chanson en français qu'un Japonais androgyne (Boy George ou Antony?) qui avait étudié le chant en France chantait. Le disque est sorti il y a quelques années, et les téléspectateurs téléphonent NHK pour demander le titre de cette chanson, et on pressent que ce sera un tube énorme...

Ah oui! En effet, j'ai entendu quelques fois "Paaaarlez-moiiii d'amouuuur, rediiiteees-moi des choseees tendreeeees" dans cette émission!

jeudi 10 janvier 2008

Obscénité ahurissante de la douane japonaise

La douane japonaise caviarde les grivoiseries de la BNF | Rue89
Mais quelle stupidité! Quand ces douaniers japonais comprendront-ils enfin que c'est leur censure qui est obscène, plutôt que les images des organes génitaux? A quoi ça sert de bloquer un catalogue de la BNF avec des images érotiques pour l'usage privé, prétextant qu'elles sont licencieuses, tandis qu'on peut regarder et télécharger librement les images et vidéos pornographiques sur internet? Ce n'est même pas une hypocrisie, ce n'est que l'automatisme robotique des fonctionnaires, qui est la négation totale de l'humanité.
Cependant, ce qui m'a fait le plus marrer dans cette histoire est que ce Japonais qui a été victime de la censure est un lecteur assidu de Rue89. C'était peut-être pour cela Ah ah
J'ajoute que le lecteur DVD au standard japonais ne peut pas lire les disques étrangers pour cette raison "pornographique", mais bien sûr qu'on peut les regarder sur l'ordinateur. Et l'importation des lecteurs multi-zones est interdite. Je dois regarder les DVD que j'ai achetés en France sur l'ordinateur pour cela. Amen.

samedi 5 janvier 2008

Explication d'un haïku

柿食へば鐘が鳴るなり法隆寺

子規

Le haïku de Masaoka Shiki (1867-1902) "Kaki kué-ba, kané-ga naru-nari. Hôryûji" est considéré comme l'aboutissement du haïku moderne. La traduction en français est ainsi: "Croquant un kaki, la cloche résonne - Hôryûji." Pourquoi ce court poème est-il la perfection de ce genre littéraire? J'ai jeté un oeil à un blog en anglais qui énumère les traductions de ce haïku, mais la discussion est carrément hors sujet, car ils ne mettent en cause que la sémantique, mais non pas la phonétique qui est normalement des plus important de la poésie, surtout quand elle est courte. Pour moi, il s'agit de faire apprécier l'essence de ce haïku. Je ne proposerai pas une meilleure traduction. Je vous conseille de recopier le haïku pour suivre mon argument.
D'abord, je donne les sens de ces mots. Kaki - le kaki (fruit); kué - le mode "parfait" du verbe kuu (manger); ba - particule pour la conséquence; kané - la cloche; ga - particule pour le cas sujet; naru - le mode indicatif du verbe naru (sonner); nari - "verbe auxiliaire" (particule en tant que fonction grammaticale) qui montre l'émotion (Ah!); Hôryûji - le temple le plus ancien et le plus représentatif de la ville de Nara, la capitale du huitième siècle qui a connu la floraison des architectures bouddhiques. (La voyelle u du japonais se situe quelque part entre u, ou, eu, e français.) Le mode "parfait" a désormais disparu de la langue japonaise, et il doit être traduit comme "dès que" par exemple. Il ne faut pas le confondre avec la forme moderne de l'hypothétique "si". Une traduction littérale de ce haïku peut être donc : "Dès que j'ai mangé un kaki, ah, la cloche sonne au temple Hôryûji.
Il n'est pas si difficile d'apprécier ce chef-d'oeuvre, même si vous ne parlez pas japonais. Ce haïku commence par la succession de la consonne k: kakiku. Ce son dur veut suggérer que le fruit n'est pas encore mûr, par l'ajout d'un autre k après le nom du fruit. Et le passage de la voyelle a jusqu'au u en passant par le i, montre le mouvement de la bouche qui "croque" le kaki. Pour ceux qui ne connaissent que le kaki dégoulinant, le verbe peut être étonnant, mais je pense que ce mot français a bien sa place dans cette traduction, alors que le verbe japonais kuu n'est qu'un verbe neutre pour "manger" en vérité.
Après la consonne b qui montre la fermeture momentanée de la bouche, le poète va donner un coup de dent encore une fois. Mais cette consonne k du mot kaki passe immédiatement au même son k de la cloche kané. C'est désormais cette résonnance métallique qui attire l'attention du haïjin (poète de haïku). La consonne n qui apparaît dans ce mot kané est repris par le prochain mot naru-nari. Dès le premier son de la cloche, Shiki regarde la cloche qui se trouve loin de lui. (Il ne faut pas oublier non plus que la consonne g qui ne se trouve pas au début du mot est nasale en japonais, comme le mot sing en anglais. Elle est assez proche du n.)
Cette fois-ci, je voudrais que vous imaginiez le bonze dans votre tête. Il porte une longue corde dans ses mains, pour donner des coups de marteau de bois à la vieille cloche. Il tire le marteau vers son arrière, et la corde dessine une grande courbe. Ce mouvement lent est évoqué par l'alternance des consonnes linguales et liquides, n et r de naru-nari. Shiki aurait bien pu répéter le verbe naru (kané-ga naru naru), mais le haïku serait complètement banal dans cas : la cloche sonne, sonneeee...
Maintenant, le poète écoute attentivement le son traînant de la cloche. Toutes les deux voyelles o et u dans le nom du temple Hôryûji sont longues, et elles sont comptées respectivement pour deux syllabes. Donc le mot Hôryûji a bien cinq syllabes (2-2-1). La voyelle courte i, guère prononcée, finit ce poème sans trop gâter le lecteur avec la voyelle longue.
Ce haïku est déjà étonnant avec cette phonétique, mais ce n'est pas tout. Les Japonais localisent facilement Hôryûji dans la ville de Nara, mais ce nom n'est pas indiqué dans ce haïku en apparence. Mais le mot naru-nari répète la sonorité du nom de l'ancienne capitale.
Et puis, ceux qui connaissent ce que c'est que le haïku doivent savoir que ce poème doit évoquer une saison. Le mot kaki n'est pas mûr ici. Cela veut dire que c'est le début d'automne, où il fait toujours chaud à Nara qui se trouve dans une cuvette (la ville se trouve loin de la mer, et Nara est également le nom du bassin). Et Shiki, connu pour ses proses sur le bienfait des fruits pour la santé, désaltère sa soif avec le kaki dur qui n'est pas encore sucré.
Shiki (c'est son nom de haïjin, tandis que Masaoka est son nom de famille), qui était le meilleur ami de Soséki, a perfectionné le haïku moderne. Il a voulu "croquer" la nature avec ce court poème, sans l'altérer avec la subjectivité. N'étant pas poète, je l'apprécie surtout comme un écrivain du journal intime, dont la précision et la simplicité sont exceptionnelles dans le paysage de la littérature japonaise. C'est dommage qu'on ne traduise pas ses proses en français.

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mercredi 2 janvier 2008

Mystère Fujiyama

Je vous souhaite une bonne année l'an 2008. Et je remercie tous ceux qui lisent mon blog.

Je l'ai souvent entendu de mes élèves qui avaient un peu appris le japonais avant de suivre mon cours. "Les Japonais appellent le mont Fuji Fuji-san, et Fujiyama est son nom pour les étrangers." Mais un instant, s'il vous plaît. Pourquoi les Japonais auraient-ils dû inventer une nouvelle appellation de la montagne pour les étrangers???
Franchement, je suis profondément consterné par le manque de culture, même rudimentaire, des Japonais qui disent cette connerie. Fujiyama n'est qu'un ancien nom de la montagne, désormais désuet. Si le nom Fuji-san est le nom géographique, Fujiyama est un nom "poétique". Pourquoi mes compatriotes ont-ils carrément oublié cette appellation, que les "étrangers" ont gardée? D'où vient cette "haine" de la culture japonaise, qui engendre le refus d'apprendre les choses si élémentaires?